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AVENIR D’OBOCK.

cement d’un potager où je vois trois choux et une douzaine de laitues. Et l’on compte rafraîchir les six cents bouches du Tonkin avec les salades venues dans les jardins de la colonie !

Encore un espace rocheux, puis apparaît un grand hôpital, construit avec les matériaux arrachés à la falaise. À droite poussent des buissons, plus bas et plus touffus que les tamaris venus sous l’œil protecteur du gouverneur. La plus haute branche de chacun d’eux est couronnée d’un vieux vase. Cette potiche ainsi placée indique que l’arbre est habité. Sous les rameaux de l’une de ces maisons primitives, j’aperçois deux jeunes filles sommairement vêtues : la plus jeune écrase du blé en promenant sur une pierre dure un cylindre de porphyre aminci à ses extrémités ; l’autre regarde travailler son amie.

Comme nous les considérons, un Dankali, armé d’une lance, les traits bouleversés, sort d’un épais buisson et se précipite vers nous. La vue de nos revolvers lui inspire de salutaires réflexions, il s’arrête dans l’attitude d’un fauve prêt à bondir. Voilà comment on salue des amis à dix minutes du drapeau tricolore.

Au point de vue militaire, Obock peut devenir une colonie précieuse. C’est un dépôt de charbon, où nos navires trouveraient, à défaut d’Aden, du combustible et de l’eau distillée. Il ne faudrait pas toutefois que l’Angleterre fût partie intéressée dans la guerre qui nous éloignerait de ses ports, car il lui suffirait de fermer le détroit de Bab-el-Mandeb, en supposant même que le canal de Suez fût libre, pour obliger la marine française à reprendre le chemin du cap de Bonne-Espérance. Quelques détails géographiques faciliteront l’intelligence de cette situation.

Le détroit de Bab-el-Mandeb, qui met en communication la mer Rouge avec l’océan Indien, a quatorze milles de large ; l’île anglaise de Périm le partage en deux parties. La passe du sud, ou grande passe, dont les fonds se relèvent près de la côte africaine, est navigable sur une largeur de sept milles. La petite passe, comprise entre Périm et la côte Arabique, n’excède pas un mille et demi ; elle est la plus sûre et la seule utilisée en toute saison.

La mer Rouge est donc fermée à son extrémité méridionale aussi bien que du côté de Suez. À qui profitera l’ouverture permanente de l’une de ses portes, si ce n’est à la nation maîtresse de la seconde, c’est-à dire à l’Angleterre ?

Mieux vaut rester en dehors d’une souricière que d’y entrer si l’on n’en peut sortir.

Le corollaire indispensable de la neutralisation du canal de Suez est l’évacuation du rocher de Périm. Encore notre flotte devrait-elle, pour se rendre au Tonkin, affronter le voisinage d’Aden, immense arsenal où, depuis des années, l’Angleterre accumule des défenses formidables.

Mais on n’est pas toujours en guerre. Grâce à Obock, on espère s’affranchir des charbons anglais, de l’eau distillée anglaise, des transports anglais, et de tous les