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À SUSE.

noires des Arabes. Au milieu d’elles se détachait un pavillon de toile blanche. Il était habité par des garnisaires qui vivront aux dépens de la tribu jusqu’au solde de l’impôt.

Quelle longue mine avait notre hôte !

Jadis il payait une contribution de douze mille krans ; il est taxé à cinquante mille aujourd’hui.

La misère désole l’Arabistan ; jamais on ne vit détresse pareille. La récolte, fort mauvaise, ne suffira pas à l’alimentation de la tribu ; une épizootie a décimé les chevaux ; les poulains sont si chétifs, que les collecteurs ne les acceptent qu’à titre de cadeau.

Seuls le beurre et la laine ont été abondants ; mais les Juifs, instruits de la gêne des nomades, se montrent intraitables.

Les vassaux de Cheikh Ali, tristes, mornes, vêtus de robes en lambeaux, étaient assemblés. L’un d’eux se plaignit amèrement. Empoigné par les garnisaires aidés des fils du cheikh, il fut conduit sous la tente blanche.

Malheureuses gens !

Que le roi ou les princes ne viennent-ils ici sans ces escortes innombrables qui dévastent le pays mieux qu’une pluie de sauterelles ! Ils verraient une des contrées les plus fertiles du monde se changer en un triste désert, où ne vivront bientôt que des fauves et des reptiles.

Le retour me parut long et pénible. Le ciel était lourd, orageux ; les réverbérations tremblantes qui s’élevaient du sol aveuglaient, étouffaient. Le thermomètre m’a donné l’explication du malaise que j’avais ressenti : il marquait cinquante degrés centigrades.

Un épisode du voyage.

« Khanoum, soupire le petit palefrenier, les gens de Cheikh Ali m’ont volé mes chaussures. Me voilà pieds nus.

— Il n’y paraît pas.

— Je ne pouvais quitter la tribu sans guivehs ; en prenant ceux-ci, je ne me suis pas aperçu qu’ils étaient plus usés que les miens. »

23 mars. — Suse s’anime. Le seïd tcharvadar, un peu honteux de son incartade, est revenu nous offrir ses services. Il était accompagné d’un muletier nommé Baker, qui propose des bêtes de somme pour le transport des caisses légères.

18 mars. — Le palais est entièrement déblayé, la frise des Immortels emballée depuis longtemps, le tracé de la fortification relevé sur les deux tiers du pourtour. Notre bourse contient, comme dernière ressource, quelques centaines de krans notoirement faux ou falsifiés ; une nouvelle dépêche de Téhéran nous enjoint de quitter Suse. Cette même lettre annonce qu’un croiseur d’escadre, le Sané, vient