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À SUSE.

chameaux. La surveillance et la défense doivent se concentrer sur les animaux.

Tout est paisible ; au ciel, pas de lune ; sur la terre, des ténèbres profondes. Quatre muletiers, assis aux angles du rempart, monteront la garde. Que de chansons à composer !

5 avril. — Dure nuit, dure journée ! Vers onze heures du soir, les sentinelles donnaient l’alarme. Nous saisîmes les armes couchées à nos côtés et jetâmes de la terre sur le feu, afin de ne pas servir de cible nocturne.

Marcel envoya les balles des revolvers et des carabines dans la direction indiquée par les tcharvadars, tandis que je rechargeais les armes.

Entre le troisième et le quatrième coup de feu j’entendis un cri et ces mots : « Ce sont les Faranguis ! » Les grandes herbes s’agitèrent, puis la jungle rentra dans le calme.

À l’aube, les muletiers nous prièrent d’escorter leurs bêtes jusqu’à l’anse où ils s’étaient abreuvés la veille. Sur le sable, les traces fraîches de pieds déchaux. Vingt minutes plus tard la caravane était en route.

Si les arbres sont rares, les plantes épineuses atteignent une hauteur inusitée. Nous voyageons à travers une forêt de chardons géants. La chaleur est intolérable ; les moustiques deviennent enragés. Cependant nous allons d’un pas rapide ; nos gens tremblent et verdissent à la seule pensée des périls qu’ils affrontent. L’un d’eux s’écarte un instant du convoi. Tout à coup il passe, courant à perdre haleine, l’œil hagard, la figure barbouillée de sang, entièrement nu, et vient s’accrocher à la selle de Marcel : « Les Arabes ! les Arabes ! »

La plaine est toujours immense, les chardons sont toujours immobiles.

« Saheb, Khanoum, ne quittez pas la caravane ! s’écrie Baker. Si vous vous éloignez, si vous courez sur les brigands, leurs frères cachés là, ici, partout, sauteront sur nous, jetteront les caisses à bas et voleront les bêtes. »

L’avis nous a paru topique ; plus que jamais les tcharvadars ont excité leurs mulets, et nous avons suivi leurs pas, après avoir pris congé de nos invisibles voisins à coups de carabine. De petits panaches de fumée couronnent les hautes herbes de la plaine. Tout compte fait, vingt-six fusils répondent à notre salut. Les armes des Arabes sont heureusement sans justesse et sans grande portée. Le jour où les nomades posséderont quelques-uns de ces remingtons que les Anglais importent en Turquie d’Asie, on ne pourra plus traverser le pays.

Trois heures avant le coucher du soleil, la caravane sortait de la forêt de chardons et entrait dans une plaine découverte, facile à surveiller.

La victime des Arabes a reçu un violent coup de bâton entre les deux yeux ; nous avons pansé sa blessure et les nombreuses égratignures laissées sur son corps par les griffes des nomades, puis, tant bien que mal, on lui a composé un costume décent.