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À BORD DU HUZARA.

les lieux saints il doit s’arrêter à Mascate, afin de présenter ses devoirs à l’imam, propre frère de son maître. Les relations des deux princes n’étaient pas fort tendres dans ces derniers temps. Aujourd’hui la paix est conclue et le vizir apporte sans doute quelques présents destinés à la cimenter.

Bien que Hadji Mohammed soit un homme pieux et demande cinq fois par jour la direction de la Mecque afin de s’orienter vers la Kaaba quand vient l’heure de la prière, il ne dédaigne pas la cuisine anglaise et prend à la table commune les repas officiels. Il n’en est pas de même de sa femme, mignonne et jolie personne, dont la prunelle très blanche se détache sur une peau presque aussi foncée que celle de ses négresses. Vêtue d’une chemise de crêpe de Chine vermillon, d’un pantalon de satin vert brodé de perles autour des chevilles, drapée dans un voile de soie bleu foncé pointillé de rouge, elle sort dès l’aurore de sa cabine, signalant son passage par le tintement de cassolettes d’or suspendues à son cou et par les heurts d’énormes bracelets qui semblent à chaque pas abandonner ses petits pieds. Des esclaves ont déjà couvert le rouf d’un beau tapis persan ; elle s’accroupit au centre, surveille la toilette et les jeux de ses enfants, puis, à l’heure du repas, leur donne la becquée du bout des doigts, becquée puisée dans un énorme plat de riz et de mouton. La noble dame passe la journée à lire le Koran ou des poésies gouzeraties et, le soir venu, regagne sa cabine, pour reprendre le lendemain la même vie inactive.

À peine a-t-elle abandonné sa place favorite, qu’on apporte une chaise longue et des couvertures blanches. Le vizir s’allonge, se couvre et abandonne ses pieds nus à deux esclaves. Ceux-ci les prennent avec respect et, doucement, exercent des frictions savantes ; peu à peu les caresses s’amollissent ; les mains noires effleurent l’épiderme du maître. Une heure de massage suffit habituellement pour amener le sommeil ; hier l’opération s’est prolongée jusqu’au milieu de la nuit. Le temps paraissait bien long aux deux nègres ; ils se consolaient en saisissant leurs propres pattes et en les pétrissant d’un air attentif et convaincu.

16 janvier. — Rien de nouveau. Les voyageurs mangent et flirtent, le temps est admirablement beau. La mer seule m’occupe et me distrait. Hier le navire avait déjà rencontré de nombreuses méduses ; aujourd’hui nous avons traversé un véritable banc d’invertébrés. L’ombrelle est brun-jaunâtre comme un champignon des bois ; les tentacules, longues de quinze centimètres, sont mauve rosé. Il semble que les méduses montent à la surface des eaux lorsque la mer a été réchauffée par les rayons du soleil, et qu’elles disparaissent le soir, ou plus tôt si les flots viennent à s’agiter. Ce sont des personnes recueillies, qui n’aiment ni l’écume ni le bruit des vagues.

Depuis deux jours le soleil, à son coucher, offre un admirable spectacle. La lune nouvelle lui dispute l’horizon. Entre les deux astres qui brillent au ciel pour le repos