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CONTROVERSE RELIGIEUSE.

« Croyez-vous en Dieu ?

— Oui.

— Combien y a-t-il de dieux ?

— Un seul.

— Croyez-vous qu’Aïssa (Jésus) soit Dieu ?

— Oui.

— Alors vous croyez en plusieurs dieux, puisque au temps où Aïssa était sur la terre, vous aviez encore un Dieu dans le ciel. Dieu est-il omniscient ?

— Certainement.

— Êtes-vous fataliste ?

— Non !

— Pourquoi ?

— Parce que la tendance à ne voir dans l’histoire du monde que la réalisation des prévisions inscrites de toute éternité sur le grand livre divin enlève à l’homme le sentiment de sa responsabilité, de ses devoirs sociaux et fournit le meilleur des prétextes à sa paresse naturelle. Si vous n’étiez fatalistes, laisseriez-vous périr les œuvres de vos ancêtres ? Ne répareriez-vous pas les digues et les canaux qui sillonnaient jadis la fertile Susiane et dont vous avez, depuis l’hégire, confié l’entretien à la bonne volonté d’Allah ?

— Comment conciliez-vous la prescience divine et le libre arbitre ?

— Dieu, dirais-je avec les Moutazelites[1], n’aime pas le mal ; il n’est pas l’auteur des actions humaines ; les hommes pratiquent le bien qui leur est ordonné, ils évitent le mal qu’il leur est défendu de faire, à l’aide d’un pouvoir que Dieu leur accorda et qu’il a incarné en eux. Il n’ordonne que ce qui lui plaît ; il ne défend que ce qui lui est odieux. Toute œuvre bonne émane de lui ; mais il n’est pour rien dans les mauvaises actions défendues par lui. Il n’impose pas à ses adorateurs un fardeau au-dessus de leurs forces, et ne leur demande que ce qu’ils peuvent donner. La faculté de faire ou de ne pas faire n’existe chez eux qu’en vertu de cette puissance que Dieu leur a communiquée, qu’il possède exclusivement, qu’il anéantit ou qu’il maintient suivant sa volonté. Il aurait, s’il l’eût voulu, contraint l’homme à lui obéir ; il l’aurait préservé nécessairement de tout acte de désobéissance ; il pouvait le faire, et s’il ne l’a pas voulu, c’est afin de ne pas supprimer les épreuves et les tentations auxquelles l’homme est assujetti. »

Et la controverse continue sans acrimonie ni violence, mais avec une logique d’autant plus fastidieuse qu’on ne peut, en dernier ressort, arguer de l’axiome fondamental du catéchisme : « Un mystère est un fait que nous ne pouvons pas comprendre, mais que l’Église nous ordonne de croire. »

  1. Secte religieuse très puissante sous le règne de Yazir, khalife de Bagdad, mort l’an 126 de l’hégire.