Page:Swift - Instructions aux domestiques.djvu/108

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faisant la chambre, le manche du balai frappe contre la glace et la met en pièces. C’est le plus grand de tous les malheurs, et sans remède en apparence, parce qu’il est impossible à cacher. Un funeste accident de ce genre arriva un jour dans une grande maison, où j’avais l’honneur d’être laquais, et j’en veux raconter les particularités, pour montrer l’adresse de la pauvre chambrière dans une circonstance si soudaine et si terrible, qui servira peut-être à stimuler votre esprit d’invention, si votre mauvaise étoile vous en fournit jamais une occasion semblable. La pauvre fille avait cassé, d’un coup de son balai, un miroir en laque, de grande valeur : elle n’eut pas réfléchi longtemps, que, par une prodigieuse présence d’esprit, elle ferma la porte à clef, descendit à la dérobée dans la cour, rapporta dans la chambre une pierre du poids de trois livres, la posa sur le foyer, juste au dessous du miroir, puis cassa un carreau de la fenêtre à coulisse qui donnait sur cette même cour, puis ferma la porte et s’en alla à ses autres affaires. Deux heures après, la dame entre dans sa chambre, voit le miroir cassé, la pierre gisant au-dessous, et tout un carreau de la croisée détruit : de toutes ces circonstances elle conclut juste ce que la chambrière avait désiré : que quelque vagabond du voisinage, ou peut-être un des valets d’écurie, avait, par méchanceté, par accident, ou par négligence, jeté la pierre et fait le dégât. Jusque-là tout allait bien, et la fille se croyait hors de danger. Mais son malheur voulut que, quelques heures après, arrivât le ministre