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Des Livres.

vail, ou agité par la colere, on lui voïoit découler des levres une eſpece d’encre d’une nature très-maligne. De ſa main droite il ſaiſit un Torchon ; &, pour ne pas manquer d’armes offenſives, il munit ſa gauche d’un Vaiſſeau rempli d’Ordures[1]. Se trouvant de cette maniere armé dans les formes, il avança, d’un pas lourd & tardif, vers l’endroit, où les Chefs des Modernes conſultoient enſemble. Quoi qu’ils fuſſent dans un terrible embaras, ils ne purent pas néanmoins s’empêcher de rire, en voïant ſes jambes cagneuſes, & ſon épaule haute, qui étoient expoſées à la vuë, malgré ſes Guêtres & ſa Cuiraſſe forcées à prendre le pli de ſon corps.

Les Généraux de ſon Parti l’eſtimoient pour ſon talent d’invectiver, qui, lorſqu’il reſtoit dans certaines bornes, étoit ſouvent d’un très-grand ſervice pour la cauſe commune, mais qui, dans

  1. Il en fait les armes de Bentley, parce que ce ſavant a un Talent particulier pour effacer les Ouvrages des Anciens ; je veux dire, pour leur ôter les Livres, qu’on leur a attribué de tout tems. Par le Vaiſſeau plein d’Ordures, il faut entendre les Invectives dont il accable ſes Antagonistes.