Page:Swift - Opuscules humoristiques - Wailly - 1859.djvu/143

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pensées originales (qui, il y a cent à parier contre un, sont peu nombreuses ou insignifiantes), mais celles d’autrui que vous croyez devoir vous approprier en les y insérant. Car, prenez ceci pour règle, lorsqu’un auteur est sur vos livres, vous avez le même droit sur son esprit qu’un négociant a sur votre argent quand vous êtes sur les siens.

À l’aide de ce petit nombre de prescriptions faciles (et celle d’un bon génie), il est possible que vous atteigniez en peu de temps les qualités d’un poète, et que vous remplissiez brillamment ce rôle. Quant à votre manière de composer, et au choix des sujets, je ne puis prendre sur moi d’être votre directeur ; mais je me hasarderai à vous donner de courts avis, sur lesquels vous pourrez vous étendre à loisir. Laissez-moi donc vous conjurer de ne mettre aucunement de côté cette idée particulière à nos modernes raffinés en poésie, à savoir qu’un poète ne doit jamais écrire ou discourir comme le commun des hommes, mais en cadence et en vers, comme un oracle ; ce que je mentionne d’autant plus que, d’après ce principe, j’ai vu des héros introduits dans la chaire, et tout un sermon composé et prononcé en vers blancs, au grand honneur du prédicateur, non moins qu’à la satisfaction réelle et à la grande édification de l’auditoire ; ce dont voici, je crois, le secret : quand la matière de ces discours n’est que de la pure argile, ou, comme nous avons coutume de dire, une pauvre drogue, le prédicateur qui ne peut se procurer rien de mieux, façonne sagement