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Page:Swift - Opuscules humoristiques - Wailly - 1859.djvu/145

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écrivains excentriques, qui emploient une expression naturelle et concise, et affectent un style semblable à un gâteau de Shrewsbury, cassant et doux au palais ; ils ne vous accorderaient pas un mot de plus qu’il n’en faut pour les rendre intelligibles, ce qui est aussi pauvre et aussi mesquin que de ne mettre sur table qu’autant de viande qu’on est sûr d’en manger. Les mots ne sont que les laquais du bon sens, et accourent à votre service sans gages ni contrainte : verba non invita sequentur.

En outre, quand vous vous mettez à composer, il peut vous être nécessaire, pour être plus à votre aise et mieux distiller votre esprit, de mettre vos plus mauvais habits ; et plus mauvais ils sont, mieux cela vaut, car dans un auteur, comme dans un alambic, tout passe mieux à travers une guenille ; d’ailleurs, j’ai vu un jardinier couper l’écorce d’un arbre (et c’est son surtout) pour qu’il se portât mieux ; et c’est une raison naturelle de la pauvreté ordinaire des poètes, et du besoin qu’ils ont, entre tous les mortels, d’être mal vêtus. J’ai toujours un respect religieux pour tous ceux dont je vois la toilette en mauvais état, les supposant ou poètes ou philosophes, attendu que les plus riches minéraux se trouvent toujours aux endroits où la terre est le plus déchirée et le plus flétrie.

Quant aux sujets que vous devez choisir, j’ai seulement à vous donner cet avis, que comme une belle manière de louer est certainement le point le plus difficile, soit qu’on écrive, soit qu’on parle, je