Page:Swift - Opuscules humoristiques - Wailly - 1859.djvu/270

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le livre, et y insérer adroitement une feuille, sur laquelle il avait écrit sa propre Méditation sur un balai : après quoi, il eut soin de remettre le livre à sa place ; et, lorsqu’à la séance suivante, mylady lui demanda de continuer la lecture, il ouvrit le volume à l’endroit où il avait inséré le papier, et lut avec beaucoup de sang-froid : « Méditation sur un balai. » Lady Berkeley, un peu surprise de l’étrangeté du titre, l’arrêta en répétant : « Méditation sur un balai ! Quel singulier sujet ! Mais qui peut savoir les enseignements utiles que ce merveilleux homme est capable de tirer des choses en apparence les plus triviales. Voyons, je vous prie, ce qu’il dit là-dessus. » Swift alors, avec un sérieux imperturbable, se mit à lire la Méditation, du même ton solennel dont il avait débité les précédentes. Lady Berkeley, ne se doutant pas du tour qu’il lui jouait, tout entière à ses préventions, exprimait de temps en temps, pendant cette lecture, son admiration pour cet homme extraordinaire, qui savait tirer de si belles réflexions morales d’un sujet si méprisable… Bientôt après, des visites étant survenues, Swift saisit un prétexte pour se retirer, prévoyant ce qui allait arriver. Lady Berkeley, pleine de son sujet, entame l’éloge de ces divines Méditations de M. Boyle. « Mais, dit-elle, le docteur vient de m’en lire une qui m’a surprise plus que tout le reste. » Quelqu’un de la compagnie demanda quelle était celle dont elle voulait parler. Elle répondit aussitôt, dans la simplicité de son cœur : « C’est cette excellente Méditation sur le balai. » Les assistants s’entreregardèrent avec surprise, et eurent peine à s’empêcher de rire. Mais tous s’accordèrent à dire qu’ils n’avaient jamais ouï parler de cette Méditation. « Sur ma parole, reprit la dame, la voici ; regardez dans ce livre, afin de vous convaincre. » Un d’eux ouvrit le livre, et l’y trouva en effet, mais de la main de Swift, sur quoi ce fut