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82 COMMENCEMENT DE LA GUERRE ANGLO-FRANÇAISE.

soumettant a la majorité. Mais il déclara, comme Saint-Just, que la vertu était toujours en minorité sur la terre; que, par conséquent, la minorité représentait la justice et la vertu, et que nul ne pouvait demander à la vertu de se soumettre humblement au vice.

Robespierre produisit une telle impression, que la Gironde se hâta, le 31, de faire monter à la tribune Vergniaud, le plus puissant de ses orateurs. Son exposition est un chef-d’œuvre qui sera toujours admiré. Vergniaud était un homme éminemment doué par la nature d’une grande droiture de sens, et qui possédait tous les secrets de l’art oratoire. Après s’être laissé quelque temps entraîner dans des voies mauvaises par la passion et par l’indolence de son caractère tout à la fois, il se sentait en ce moment comme purifié par le pressentiment d’une chute prochaine, que lui-même avait préparée, mais qui devait lui servir d’expiation. Il rassembla donc d’une main hardie tous les traits de la situation pour en faire une émouvante image. Il ne s’étendit pas sur l’innocence ou la culpabilité du roi, ni sur le droit qu’on avait de le châtier; mais il développa les conséquences du régicide et la punition qui devait le suivre. Il montra la guerre qui déchirerait l’Europe, la misère qui affamerait la France, la discorde qui s’établirait parmi les vainqueurs eux-mêmes et qui unirait par ruiner le pays. Chacune de ses paroles respire un vertueux’enthousiasme; son style s’ennoblit de douleur et de patriotisme, sa colère et sa haine même se trouvent comme transfigurées par le sentiment de sa mort prochaine. « Je crains, dit-il en terminant, que l’opinion que je combats ne triomphe, je sais ce que signifie le cri de proscription 1 »

Tout ce qu’un sincère amour de la patrie pouvait inspirer dans un moment pareil, Vergniaud le dit de la manière la plus éloquente; mais la plupart de ses auditeurs réclamaient d’autres arguments. Il lui eût fallu convaincre les uns que leur propre vie ne serait pas mise en danger par leur vote, et les autres que le salut de Louis XVI n’entraverait en rien les plans de leur ambition. A peine eut-il cesser de parler, que le torrent des espérances et des craintes égoïstes reprit son cours. La masse des députés ne demandait pas quelle était la manière de voir la plus juste et la plus patriotique, mais seulement quel parti était le