Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/24

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grands objets, que j’habite avec les dieux, autant qu’il est permis à un faible mortel, et que mon âme, aspirant à contempler sa véritable patrie, se tienne toujours dans cette sphère élevée, que m’importe la fange que je foule à mes pieds ? Mais la terre où je suis ne produit pas des arbres utiles ou de pur agrément ; elle n’est point arrosée par des fleuves profonds et navigables ; elle ne porte rien qui puisse attirer les peuples étrangers, et suffit à peine à la nourriture de ses habitants ; on n’y taille point de pierres précieuses ; on n’en tire point de filons d’or ou d’argent. Il n’y a qu’une âme rétrécie pour qui les objets terrestres aient des charmes. Tournons-nous vers ces beautés qui se montrent également partout, et partout resplendissent du même éclat ; et songeons que ce sont les choses d’ici-bas, avec les erreurs et les préjugés qu’elles enfantent, qui nuisent au vrai bonheur. En étendant ces portiques, en élevant ces tours, en prolongeant sans mesure cette suite de constructions, en augmentant la profondeur de ces grottes d’été, en surchargeant d’une masse de pierres les plafonds de ces salles de festins, vous ne faites que vous dérober de plus en plus la vue du ciel. Le sort vous a jeté dans un pays où la demeure la plus spacieuse est une cabane. Que je plains la petitesse de votre esprit et la bassesse de vos consolations, si vous ne souffrez cet inconvénient avec courage, qu’en songeant à la cabane de Romulus ! Ah ! dites plutôt : "Cet humble toit est l’asile des vertus ; il effacera en beauté tous les temples, dès qu’on y verra briller la justice, la modération, la sagesse, la piété, la connaissance parfaite de tous ses devoirs, la science des choses divines et humaines. Un lieu est-il jamais étroit, quand il contient cette foule de grandes vertus ? Un