Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/53

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jourd’hui même, le plus qu’il peut, il l’éloigne de son cœur, et, dans une si grande facilité d’en acquérir, il n’y cherche pas de plus précieux avantage que de le mépriser. L’aurais-tu privé de ses amis ? Tu le savais si digne d’être aimé, qu’il eût aisément remplacé ceux qu’il aurait perdus. Car, de tous les personnages puissants dans la maison du prince, je n’ai connu que lui dont l’amitié, généralement si utile, était plus recherchée encore pour sa douceur. Lui aurais-tu ravi l’estime publique ? Il y possède des droits trop solides pour être ébranlés, même par toi. Aurais-tu détruit sa santé ? mais tu connaissais son âme, nourrie, et, pour dire plus, née au sein des études libérales, cette âme qu’elles ont affermie jusqu’à la rendre inaccessible aux souffrances du corps. Lui aurais-tu ôté la vie ? Combien peu par là pourrais-tu nuire à un génie auquel sa renommée promet l’immortalité ! Il a travaillé à se survivre dans la plus noble partie de son être ; et ses illustres, ses éloquentes compositions le rachèteront du tombeau. Tant que les lettres jouiront de quelque honneur, tant que subsisteront la puissance de la langue romaine et les charmes de la langue grecque, Polybe doit briller entre ces grands noms qui verront en lui le rival, ou, si sa modestie refuse cet éloge, l’associé de leur gloire.

XXII. « Ton unique pensée fut donc de trouver chez lui l’endroit le plus vulnérable. C’est en effet à l’élite des humains que tu réserves tes coups les plus habituels, tes fureurs, qui sévissent indistinctement, et qu’il faut craindre au milieu même de tes bienfaits. Il t’en eût si peu coûté d’épargner cette rigueur à un homme sur lequel tes faveurs semblaient