Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/96

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montrer opiniâtre, de jour en jour plus rebelle, et s’effaroucher de tout remède, celui qui sait si bien apprivoiser les plus intraitables instincts, le temps, l’émoussera à son tour. Il vous reste encore, ô Marcia ! une tristesse profonde, qui semble même incrustée dans votre âme ; ce n’est plus cette vivacité des premiers transports, c’est une passion tenace et obstinée ; eh bien ! cette douleur elle- même, le temps vous la dérobera pièce à pièce. Elle perdra de son intensité chaque fois que vous ferez autre chose que veiller à la maintenir : or, la différence est grande entre tolérer sa douleur et se l’imposer. Combien il est plus convenable à la noblesse de vos sentiments de mettre fin à votre deuil, que d’attendre qu’il veuille cesser. Ne différez pas jusqu’au jour où il vous quittera malgré vous : quittez-le la première.

IX. « D’où vient donc cette persévérance à gémir sur nous-mêmes, quand la nature ne nous leu fait pas une loi ? » C’est qu’on ne songe jamais aux maux possibles avant qu’ils n’arrivent, comme si l’on était privilégié contre eux, ou qu’on eût pris une voie moins périlleuse que les autres, dont les disgrâces ne nous rappellent jamais notre commune fragilité. Tant de funérailles passent devant nos demeures, et nous ne pensons pas à la mort ! Nous voyons tant de trépas prématurés, et sur le berceau de nos fils nous parlons de toges viriles, d’emplois militaires, d’héritages paternels que nous leur laisserons ! Témoins de la subite pauvreté de tant de riches, il ne nous vient jamais à l’esprit que nos richesses aussi sont sur le penchant d’un abîme ! La chute est plus inévitable, si nous sommes frappés comme à l’improviste ; mais les attaques prévues de loin arrivent amorties. Reconnaissez donc que vous