Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/433

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1680 le pauvre Nicole est dans les Ardennes, et M. Arnauld sous terre, comme une taupe[1]. Mais voyez, ma très-chère, quelle folie, et où me voilà ! ce n’est point de tout cela que je vous veux parler : j’admire comme je m’égare.

Je veux[2] vous conter comme je reçus votre lettre à la dînée, le jour que je partis de Nantes ; et que n’ayant que cette manière de vous entendre à mille lieues de moi, je me fais de cette lecture une sorte d’occupation que je préfère à tout. Nous avons trouvé les chemins de Nantes à Rennes fort raccommodés, par l’ordre de M. de Chaulnes ; mais les pluies ont fait comme si deux hivers étoient venus l’un sur l’autre. Nous avons toujours été dans les bourbiers et dans les abîmes d’eau : nous n’avions osé traverser par Château-Briant[3] parce qu’on n’en sort point. Nous arrivâmes à Rennes la veille de l’Ascension[4] ; cette bonne Marbeuf vouloit m’avaler, et me loger, et me retenir ; je ne voulus ni souper ni coucher chez elle. Le lendemain, elle me donna un grand déjeuner-dîner, où le gouverneur, et tout ce qui étoit dans cette ville, qui est

  1. 7. Les écrivains de Port-Royal trouvaient un asile assuré auprès de la duchesse de Longueville. Ils se dispersèrent après la mort de leur protectrice. Arnauld sortit de France pour n’y plus rentrer. Nicole avait fui de Paris dès 1677, parce qu’on lui attribuait la lettre des évêques au pape : voyez la lettre du 18 juin 1677 (tome V, p. 182). Il resta pendant quelque temps auprès de M. Choart de Buzanval, évêque de Beauvais ; il se retira à Bruxelles, au mois de mai 1679, et il finit par obtenir la permission de revenir à Chartres, sa ville natale. (Note de l’édition de 1818.) — Nicole était dans le Luxembourg, à l’abbaye d’Orval, dans les années 1679-1680. Il revint à Paris en mai 1683. Voyez le Port-Royal de M. Sainte-Beuve, tome IV, p. 368-385.
  2. 8. Cette phrase n’est que dans le texte de 1754. Notre manuscrit s’arrête à la fin du premier alinéa.
  3. 9. Chef-lieu d’arrondissement de la Loire-Inférieure, entre Nantes et Vitré, à quinze lieues et demie de Nantes.
  4. 10. C’est-à-dire le 29 mai.