Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 1, 1748.djvu/229

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Mais se vendre soi-même est un triste marché,
L'on ne s'en dédit point quand le mot est lâché, [40]
L'Hymen nous asservit aux caprices d'un homme,
Et j'en connais beaucoup, sans que je vous les nomme,
Qui n'en ayant jamais examiné les lois,
Ont pris le frein aux dents, et s'en mordent les doigts.
Croyez-moi, de l'amour c'est un puissant remède, [45]
L'on ne fait guère état de ce que l'on possède,
Le vrai plaisir consiste au pouvoir de refus,
Quand un bien est acquis, dès lors on n'en veut plus,
En vain à l'estimer sa valeur nous convie,
La difficulté seule échauffe notre envie, [50]
Et celui qui nous charme avec le plus d'appas
C'est celui qu'obtenant l'on peut n'obtenir pas.

ISABELLE.

Tu n'avais point encor étalé ta science.

JACINTE.

Avec votre devoir et votre obéissance,
Si celui qu'on vous donne est bizarre, jaloux  ? [55]

ISABELLE.

Et jaloux et bizarre, il sera mon époux.

JACINTE.

Enfin pour un Mari le Ciel vous a fait naître,
Et moi, pour être libre, et pour vivre sans maître,
Je n'ai plus rien à dire, et vous plains seulement.

ISABELLE.

Il en faut présumer plus favorablement. [60]

JACINTE.

Je voudrais le pouvoir ; et encor, je vous prie,
Ne m'apprendriez-vous point à qui l'on vous marie  ?

ISABELLE.

Mon Père a fait ce choix, et tu sais comme moi
Qu'en passant par Tolède il a promis ma foi ;
Qu'à son retour tantôt j'en ai su la nouvelle, [65]
Et que de mon destin la tyrannie est telle,
Que sans vouloir m'entendre, on m'ordonne demain
De donner tout ensemble et mon coeur et ma main,
Cet époux prétendu ne veut point de remise.

JACINTE.