Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 1, 1748.djvu/371

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Oronte

Ah, ne présumez pas que je m’en ose plaindre,
Ma douleur par respect saura mieux se contraindre,
Pour grands que soient les maux dont je reçois les coups,
Ils me sont précieux puisqu’ils viennent de vous.
Posséder votre cœur m’étoit un bien insigne,
Vous m’en voulez priver, je n’en étois pas digne.
Je viens de votre bouche en écouter l’Arrêt,
Et lui sacrifier mon plus cher intérêt,
Heureux, si mon malheur ayant fait tout mon crime,
Vous m’ôtez votre amour sans m’ôter votre estime.

Lucie

Quelle mortelle atteinte à ce cœur amoureux !
Vous parlez de coupable, et puis de malheureux.
Ah, ne me tenez point en suspens davantage,
De grâce, expliquez mieux un si triste langage,
Et du moins, pour vous plaindre avec quelque couleur,
Sachons quel est ce crime, ou quel est ce malheur.

Oronte

Vous souffrez qu’en secret un Rival vous adore,
Mon malheur, le voilà ; mon crime, je l’ignore ;
Mais je ne me puis voir sitôt abandonné
Sans m’estimer coupable autant qu’infortuné.
En effet, je croirois mériter mon supplice
Si je vous soupçonnois de la moindre injustice ;
De votre changement je n’accuse que moi,
Vous m’avez dû punir, mais je ne sais pourquoi.

Lucie

La surprise où me jette un reproche semblable…

Oronte

Ah, c’est trop différer à perdre un misérable,
Chercher à l’adoucir, c’est redoubler mon mal.
Dites qu’on me préfère un plus digne Rival,
Que c’est par mes défauts qu’éclate son mérite,
Que de vos premiers feux votre gloire s’irrite,