Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/395

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AMALASONTE.

Il m’aime ! Ah, comme toi que ne le puis-je croire !
La peur d’être exposée aux plus mortels ennuis,
Ne me jetteroit pas dans le trouble où je suis.

GEPILDE.

Un pur zèle pour vous est tout ce qu’il écoute,
Et vous voulez douter que son coeur…

AMALASONTE.

Oui, j’en doute.
En vain ma passion cherche à me décevoir,
Gepilde, j’ai plus vu que je ne voulois voir.
Je sais que Théodat accepte ma Couronne,
Mais ce n’est point son cœur qui s’offre, qui se donne,
C’est moi qui le mendie, et dont l’abaissement
Peut-être malgré lui me l’acquiert pour Amant.

GEPILDE.

Blâmez-en votre rang, dont l’orgueil tyrannique
Empêche qu’en aimant un Sujet ne s’explique,
Et qui par son éclat lui rendant tout suspect,
Dés qu’il cherche à parler, l’immole à son respect.

AMALASONTE.

Ah, le respect n’est point un tyran si sévère,
Ou si l’on en reçoit quelque ordre de se taire,
On l’observe d’un air si chagrin, si contraint,
Qu’en montrant ce qu’on soufre on fait voir ce qu’on craint.
La raison par l’amour est bientôt affaiblie,
Auprès de ce qu’on aime, on s’égare, on s’oublie,
Au défaut de la bouche une tendre langueur
Fait lire dans les yeux le désordre du cœur,
Et l’on ne peut penser, quand un beau feu l’anime,
Qu’un soupir indiscret passe pour un grand crime.
Mais jamais jusque-là Théodat n’est venu ;
Point d’oubli, point de trouble, il s’est toujours connu,
J’avois beau l’enhardir sur le feu qui me touche,
Tout se taisoit en lui, le cœur, les yeux, la bouche,
Comme si mes bontés eussent peu mérité
Qu’il daignât se permettre une témérité