Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/423

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Tu devois, pour sauver le mien de ma foiblesse,
Me cacher tes vertus que j’admirois sans cesse,
Ces flatteuses vertus, dont l’engageant appas
T’assuroit un triomphe où tu n’aspirois pas.
Mais je t’accuse à tort ; on a souvent beau faire,
L’amour, le fort amour n’a rien de volontaire,
Et quand on doit goûter ce dangereux poison,
Le Destin est toujours plus fort que la raison.
Je ne me prends qu’à lui du feu dont je soupire,
Il m’a fallu t’aimer ; mais tu me l’as fait dire,
Et m’avoir jusque-là forcée à m’abaisser,
C’est un crime pour toi qui ne peut s’effacer.
Pourquoi l’as-tu commis ? Sans ma flamme indiscrète
Tu serois innocent, et je te le souhaite.
Oui, comme je ne puis te perdre sans regret,
Je te pardonne tout, et rends-moi mon secret.
Empêche que ma bouche à s’expliquer trop prompte,
Ne t’ait mis en pouvoir de jouir de ma honte.
Si mes yeux t’ont jeté quelques regards flatteurs,
Ce sont d’obscurs témoins qu’on traite d’imposteurs,
Des témoins subornés que la gloire récuse ;
Mais, ingrat, j’ai parlé, ton crime est sans excuse,
Et si sur mon amour rien ne t’est imputé,
Tu te repentiras d’avoir trop écouté.

THÉODAT.

Il est vrai, cet amour m’assuroit trop de gloire,
Et gardant d’une Ingrate encor quelque mémoire,
Mon cœur, quoi qu’il se crût dégagé pleinement,
Devait peu se promettre un aveu si charmant.
Aussi, Madame, aussi je vous rendrois justice,
Je voyois votre rang, et quoi que j’entendisse,
Mon scrupuleux respect m’empêchoit d’accepter
Ce que par de longs soins je voulois mériter.
Vos bontés avoient beau préparer ma victoire ;
Pour vous plus que pour moi je tremblois à vous croire,
En rencontrant vos yeux les miens embarrassés
Refusoient d’expliquer…