Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/550

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L’a porté de lui-même à se vouloir charger
Des dettes, dont par lui je vais me dégager.

Sganarelle

Mais n’étant point dévot, par quelle effronterie
De la dévotion faire une momerie ?

Dom Juan

Il est des gens de bien et vraiment vertueux.
Tout méchant que je suis j’ai du respect pour eux ;
Mais si l’on n’en peut trop élever les mérites,
Parmi ces gens de bien il est mille hypocrites,
Qui ne se contrefont que pour en profiter,
Et pour mes intérêts je veux les imiter.

Sganarelle

Ah quel homme, quel homme !

Dom Juan

Il n’est rien si commode.
Vois-tu ? L’hypocrisie est un vice à la mode,
Et quand de ses couleurs un vice est revêtu,
Sous l’appui de la mode il passe pour vertu.
Sur tout ce qu’à jouer il est de personnages.
Celui d’Homme de bien a de grands avantages.
C’est un Art grimacier, dont les détours flatteurs
Cachent sous un beau voile un amas d’Imposteurs.
On a beau découvrir que ce n’est que faux zèle,
L’imposture est reçue, on ne peut rien contre elle,
La censure voudroit y mordre vainement.
Contre tout autre vice on parle hautement,
Chacun a liberté d’en faire voir le piège,
Mais pour l’hypocrisie elle a son privilège,
Qui sous le masque adroit d’un visage emprunté,
Lui fait tout entreprendre avec impunité.
Flattant, ceux du Parti, plus qu’aucun redoutable,
On se fait d’un grand corps le membre inséparable.
C’est alors qu’on est sûr de ne succomber pas.
Quiconque en blesse l’un, les a tous sur les bras,
Et ceux même qu’on sait que le Ciel seul occupe,
Des Singes de leurs mœurs sont d’ordinaire dupe.