Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/578

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Je ne vous redis point que tous mes sens ravis
Cédèrent à l’amour sitôt que je vous vis.
Vous l’avez déjà su par l’aveu téméraire
Que de ma passion j’osai d’abord vous faire.
Il fallut, pour cesser de vous être suspect,
Ne vous en parler plus, je l’ai fait par respect.
Pour ne vous aigrir pas, d’un rigoureux silence
Je me suis imposé la dure violence,
Et s’il m’est échappé d’en soupirer tout bas,
C’étoit bien m’en punir, que ne m’écouter pas.
Tant de rigueur n’a pu diminuer ma flamme.
Pour vous voir sans pitié je n’ai point changé d’âme ;
J’ai souffert, j’ai langui d’amour tout consumé,
Madame, et tout cela sans espoir d’être aimé.
Par vos seuls intérêts vous m’avez été chère.
J’ai regardé l’Amour sans chercher le salaire,
Et même en ce funeste et dernier entretien,
Prêt peut-être à mourir, je ne demande rien.
Rendez Thésée heureux, vous l’aimez, il vous aime ;
Mais songez, en plaignant mon infortune extrême,
Que vos bienfaits n’ont point sollicité ma foi,
Que vous n’avez rien fait, rien hasardé pour moi,
Et que lorsque mon cœur dispose de ma vie,
C’est sans vous la devoir qu’il vous la sacrifie.
Pour prix du pur amour qui le fait soupirer,
S’il étoit quelque grâce où je pusse aspirer,
Je vous demanderois pour flatter mon martyre,
Qu’au moins quand je vous perds, vous daignassiez me dire,
Que sans ce premier feu pour vous si plein d’appas,
J’aurois pu par mes soins ne vous déplaire pas.
Pour adoucir les maux où votre hymen m’expose,
Ce que j’ose exiger sans doute est peu de chose ;
Mais un mot favorable, un sincère soupir,
Est tout pour qui ne veut que l’entendre et mourir.

ARIANE.

Seigneur, tant de vertu dans votre amour éclate,
Qu’il faut vous l’avouer, je ne suis point ingrate.