Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/617

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
NÉRINE.

Pirithoüs viendra ; mais ce transport jaloux
Qu’attend-il de sa vue, et que lui direz-vous ?

ARIANE.

Dans l’excès étonnant de mon cruel martyre,
Hélas ! Demandes-tu ce que je pourrai dire ?
Dût ma douleur sans cesse avoir le même cours,
Se plaint-on trop souvent de ce qu’on sent toujours ?
Tu dis donc qu’hier au soir chacun avec murmure
Parloit diversement de ma triste aventure ?
Que la jeune Cyane est celle que l’on croit
Que Thésée…

NÉRINE.

On la nomme à cause qu’il la voit,
Mais qu’en pouvoir juger ? Il voit Phèdre de même,
Et cependant, Madame, est-ce Phèdre qu’il aime ?

ARIANE.

Que n’a-t-il pu l’aimer ? Phèdre l’auroit connu,
Et par là mon malheur eût été prévenu.
De sa flamme par elle aussitôt avertie,
Dans sa première ardeur je l’aurois amortie.
Par où vaincre d’ailleurs les rebuts de ma Soeur ?

NÉRINE.

En vain il auroit cru pouvoir toucher son cœur,
Je le sais ; mais enfin quand un Amant sait plaire,
Qui consent à l’ouïr peut l’aimer, et se taire.

ARIANE.

Je soupçonnerois Phèdre, elle de qui les pleurs
Sembloient en s’embarquant présager nos malheurs ?
Avant que la résoudre à seconder ma fuite,
À quoi pour la gagner ne fus-je pas réduite ?
Combien de résistance et d’obstinés refus ?

NÉRINE.

Vous n’avez rien, Madame, à craindre là-dessus.
Je connois sa tendresse, elle est pour vous si forte,
Qu’elle mourroit plutôt…

ARIANE.

Je veux la voir, n’importe.