Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/36

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Que je la trahirois si mon empressement
Pouvoit à l’expliquer différer un moment.
Mais par où faire voir ce qu’elle est dans mon âme
Si vous n’y pénétrez tout l’excès de ma flamme ?
J’aime un objet, Seigneur, si digne d’être aimé…

ACHILLE

Je connois à quel point vous en êtes charmé,
Et ferai pour la paix, puis qu’elle vous est chère,
Ce que l’on vous a dit que j’ai promis de faire.
Vous pouviez cependant régler mieux votre cœur,
Ne l’abandonner pas à cet excès d’ardeur.
Sur le plus bel espoir, quelques projets qu’on fasse,
Les choses quelquefois peuvent changer de face,
Et vous vous exposez par trop d’attachement
Aux plus fâcheux ennuis qu’ait à craindre un amant.

PYRRHUS

En l’état qu’est Priam, quel sujet de les craindre ?
Quoique vous demandiez, il n’a point à s’en plaindre,
Et sait trop contre lui ce que peut votre bras,
Pour voir ma main offerte, et ne l’accepter pas.
Mais quand de ses refus la juste défiance
Tiendroit de mon amour le succès en balance,
Comment voir Polixène, et sur mes volontés
Conserver le pouvoir que vous me souhaitez ?
Sans ce premier amour dont les sensibles charmes
Contre elle en la voyant vous font de sûres armes,
Je ne sais si vous-même admirant ses appas,
Auriez pu la connoître, et ne soupirer pas.
Une majesté douce, un air incomparable
Soutient si noblement…

ACHILLE

Elle est sans doute aimable,
Mais…

PYRRHUS

Seigneur, quelle joie à mon cœur enflammé
Que vous rendiez justice au feu qui m’a charmé !