Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/553

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Un autre objet te charme, & j’ouvre enfin les yeux
Sur ce qui t’a banni si long-temps de ces lieux.
C’est peu que pour Léon tu reviennes sans haine,
Lui dont par toi la mort sembloit être certaine,
Tu souffres qu’au combat il prévienne ta foi,
Pour t’enlever un prix qui n’étoit que pour toi ;
Et quand tout est permis à ta juste colere,
Tu m’oses demander ce que ton bras peut faire ?

Roger.

Juste ciel ! De ma flamme on peut se défier.

Bradamante.

Et bien, il t’est aisé de te justifier.
Si ton cœur est constant, ta main doit être prête.
Marche, cours à Léon arracher sa conquête,
Par un beau désespoir cherche à te secourir,
Ou donne-moi du moins l’exemple de mourir.
Rien ne m’arrêtera quand il te faudra suivre.

Roger.

Pour moi, pour mes malheurs vous cesseriez de vivre ?
Non, de mon imprudence ils sont le juste effet ;
Et je dois…

Bradamante.

Et je dois…C’en est trop, tu seras satisfait.
Léon est mon vainqueur, tu veux que je l’épouse,
J’y consens ; ne crains point que j’éclate en jalouse,
Et par un indigne & bas emportement
Je permette l’injure à mon ressentiment.
De ton cœur aveuglé sui la pente fatale,
Va triompher du mien auprès de ma rivale,
Et jouïs, si tu peux, en violant ta foi,
Des douceurs d’un repos qui t’étoit sûr par moi.
Tu le sais. Quel bonheur eût approché du nôtre !
Il n’y faut plus penser, je vivrai pour un autre.
Je ne le cache point, mon devoir étonné
Des troubles de mon cœur se trouvera gêné ;
Mais peut-être à ton tour tu sentiras mes peines ;
Et sous le poids honteux de tes nouvelles chaînes,