Scène IV.
Croire qu’à me trahir la couronne l’engage ?
Perdez, ma sœur, perdez un soupçon qui l’outrage.
Ah, mon frere ! Pourquoi vouloir vous abuser ?
Sa langueur au combat se peut-elle excuser ?
Léon, dont on voyoit l’inquiétude extréme,
Tâchoit en reculant d’épargner ce qu’il aime ;
Et son bras, que sa vûe avait intimidé,
N’auroit jamais vaincu si le sien n’eût cédé.
Non, on ne comprend pas dans l’orgueil qui l’inspire…
Je sai, je comprends tout, & je ne puis rien dire.
Si pendant le combat son bras s’est retenu,
De ce qui l’arrêtoit le pouvoir m’est connu.
Prête à verser du sang, l’horreur qui la désarme
D’un ascendant secret me découvre le charme ;
Je vois ce qu’elle-même elle n’a pû savoir.
Ce qui m’arrive, ô ciel, se peut-il concevoir !
Adieu, ma sœur, cessez d’accuser Bradamante,
C’est offenser sa gloire, elle a l’ame constante ;
Et de tous les amans que brûlent de beaux feux
Je suis le plus à plaindre, & le plus malheureux.