Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/575

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Bradamante.

Madame…Il est donc vrai que vous avez fait gloire
De chercher pour Léon une injuste victoire ?
Si toujours votre cœur brûle des mêmes feux,
Pouviez-vous pour un autre ordonner de mes vœux ?

Roger.

Je parois criminel, mais malgré l’apparence,
Vous-même en m’écoutant vous prendrez ma défense.
Léon sans s’expliquer vient exiger de moi
Un service important qu’il attend de ma foi.
Pour m’acquitter du jour que par lui je respire,
J’engage ma parole, ai-je pû m’en dédire ?
Ai-je pû…

Bradamante.

Ai-je pû…Ce Roger fidele à ses amis,
Qui tient ce qu’il promet, ne m’a-t-il rien promis ?

Roger.

Oui, je vous ai promis une ardeur sans égale,
Et si vous rappellez la rencontre fatale,
Où votre bras, tout prêt à me priver du jour…

Bradamante.

Je vois dans ce combat le pouvoir de l’amour.
Il m’a fait épargner en vous, sans le connoître,
Celui que de mon cœur il avoit rendu maître,
Il vous a conservé ; mais que peuvent ces soins ?
En suis-je plus à vous, & me perdez-vous moins ?
Ma défaite assuroit mon bonheur & le vôtre.
Falloit-il que Roger me vainquît pour un autre,
Et que par ce triomphe, il m’ôtât aujourd’hui
L’heureux droit que j’avois de me donner à lui ?

Roger.

Ne désespérons point ; dans tout ce qui m’arrive
Je vois du ciel pour moi la colere excessive ;
Mais enfin tout-à-coup, elle peut s’arrêter.
Léon, le roi, le temps…

Bradamante.

Léon, le roi, le temps…Ah, pourquoi vous flatter ?