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TABLEAU DE LA FRANCE.


Ici, dans cette naïve et maligne Champagne, se termine la longue ligne que nous avons suivie, du Languedoc et de la Provence par Lyon et la Bourgogne. Dans cette zone vineuse et littéraire, l’esprit de l’homme a toujours gagné en netteté, en sobriété. Nous y avons distingué trois degrés : la fougue et l’ivresse spirituelle du Midi ; l’éloquence et la rhétorique bourguignonne[1] ; la grâce et l’ironie champenoise. C’est le dernier fruit de la France et le plus délicat. Sur ces plaines blanches, sur ces maigres coteaux, mûrit le vin léger du Nord, plein de caprice[2] et de saillies. À peine doit-il quelque chose à la terre ; c’est le fils du travail, de la société[3]. Là crût aussi cette chose légère[4], profonde pourtant, ironique à la fois et rêveuse, qui retrouva et ferma pour toujours la veine des fabliaux.

Par les plaines plates de la Champagne s’en vont nonchalamment le fleuve des Pays-Bas, le fleuve de la France, la Meuse, et la Seine avec la Marne son acolyte. Ils vont, mais grossissant, pour arriver avec plus de dignité à la mer. Et la terre elle-même surgit peu à peu en collines dans l’Île-de-France, dans la Normandie, dans la Picardie. La

  1. Sur la montagne de Langres, naquit Diderot. C’est la transition entre la Bourgogne et la Champagne. Il réunit les deux caractères.
  2. Cela doit s’entendre, non-seulement du vin, mais de la vigne. Les terres qui donnent le vin de Champagne semblent capricieuses. Les gens du pays assurent que dans une pièce de trois arpents parfaitement semblables, il n’y a souvent que celui du milieu qui donne de bon vin.
  3. Une terre qui, semée de froment, occuperait cinq ou six ménages, occupe quelquefois six ou sept cents personnes, hommes, femmes et enfants, lorsqu’elle est plantée de vignes. On sait combien le vin de Champagne exige de façons.
  4. La Fontaine dit de lui-même :

    Je suis chose légère, et vole à tout sujet,
    Je vais de fleur en fleur, et d’objet en objet.
    À beaucoup de plaisir je mêle un peu de gloire.
    J’irais plus haut peut-être au temple de mémoire,
    Si dans un genre seul j’avais usé mes jours ;
    Mais quoi ! je suis volage, en vers comme en amours.

    « Le poëte, dit Platon, est chose légère et sacrée. »