Page:Taché - Les histoires de M. Sulte, 1883.djvu/9

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et de la défaillance, ils revinrent vers ce qu’ils avaient méconnu. Mon grand-père fut de ces derniers. Il est mort chrétiennement et j’ai tout lieu d’espérer qu’il a, maintenant, satisfait à la justice divine et que c’est du haut du ciel qu’il applaudit à la réparation que vient faire son petit-fils, devant les hommes, d’une erreur grave et publique commise par lui, dans un mauvais jour. Il terminait un mémoire, à lui demandé par un comité de l’ancienne Chambre législative du Bas Canada, par deux courts mais malicieux paragraphes contre les Jésuites. Il y disait qu’il existait chez les sauvages montagnais une tradition à l’effet que les Pères Jésuites, sous le règne de Louis XIV, étaient allés s’établir au Saguenay, sous le prétexte d’y répandre le christianisme au milieu des sauvages ; qu’ils, les Jésuites, réussirent à convertir presque tous les sauvages, sur lesquels ils acquirent une très grande influence ; mais que la compagnie des Indes, s’apercevant que les révérends Pères, avec des rosaires, des croix, des reliques et d’abondantes prières, se procuraient plus de fourrures de qualité supérieure que la compagnie n’en pouvait obtenir avec ses marchandises, celle-ci réussit à envoyer les révérends Pères faire le commerce ailleurs. On voit par là que c’est toujours le même système, une tradition méprisante, qui n’existe pas, le prétendu prétexte de la religion pour faire le commerce ou pour commander. Heureusement que l’erreur se ment à elle-même. Les Jésuites étaient de véritables apôtres, et ce n’était pas un vain prétexte que leur mission, puisqu’ils ont christianisé toute la nation montagnaise ; les sauvages n’avaient point à transmettre une tradition injurieuse à leurs missionnaires, puisque ceux-ci avaient sur eux une très grande influence. La compagnie des Indes n’a pas détruit cette chrétienté, puisque le dernier missionnaire jésuite des Montagnais, le Père Labrosse, est mort au milieu de ces sauvages en 1782. Les rosaires, les croix et les prières des Jésuites, de même que les effets qu’ils apportaient aux sauvages, valaient infiniment mieux que le rhum et les marchandises de ceux qui auraient voulu les chasser.

Les Montagnais, — je suis personnellement témoin de ce fait, — ont gardé traditionnellement le plus profond respect, la plus grande vénération pour la mémoire de leurs premiers missionnaires. Ils conservent encore (ils conservaient du moins quand je les visitais) comme des objets du plus grand prix pour eux, les quelques livres qui leur restent du temps des Jésuites, les vieux Missanaïgan. Ils se sont transmis, de génération en génération, par la seule instruction de famille, la lecture et l’écriture que les Jésuites leur avaient enseignées. Ces sauvages ne sont pas riches, ils ne l’ont jamais été ; la Propagation de la Foi et les Pères Oblats aujourd’hui, comme les âmes charitables et les Jésuites autrefois, doivent venir au secours des missions chez eux ; mais ils avaient