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annales, livre iii.

fer, il rappela par un édit cc que beaucoup de Romains étaient morts pour la patrie, et que pas un n'avait excité une telle ardeur de regrets : regrets honorables sans doute et au prince et aux citoyens, pourvu qu'ils eussent des bornes; car la dignité interdisait aux chefs d'un grand empire et au peuple-roi ce qui était permis à des fortunes privées et à de petits États. Une douleur récente n'avait pas dû se refuser la consolation du deuil et des pleurs; mais il était temps que les âmes retrouvassent leur fermeté : ainsi le divin Jules, privé de sa fille unique, ainsi le divin Auguste, après la mort de ses petits-fils, avaient dévoré leurs larmes. S'il fallait des exemples plus anciens, combien de fois le peuple romain n'avait-il pas supporté courageusement la défaite de ses armées, la perte de ses généraux, l'extinction de ses plus nobles familles? Les princes mouraient; la république était immortelle. On pouvait donc retourner aux devoirs accoutumés, et même aux plaisirs, qu'allaient ramener les jeux de la grande Déesse[1]. »

VII. Alors le cours des affaires recommence, chacun reprend ses fonctions, et Drusus part pour !'Illyrie, laissant Rome dans une vive attente de la vengeance qu'on tirerait de Pison, et toute pleine de rumeurs contre « l'arrogance de cet homme, qui s'amusait à parcourir les beaux rivages de l'Asie et de la Grèce, et, avec ces délais perfidement calculés, anéantissait les preuves de ses crimes. » Le bruit s'était en effet répandu que l'empoisonneuse Martina, envoyée, comme je l'ai dit, par Sentius, était morte subitement à Brindes, et qu'on avait découvert du poison dans un noeud de ses cheveux, sans qu'il parût sur son.corps aucun indice qu'elle s'en fût servie contre elle-même.

VIII. Pison se fit précéder à Rome par son fils, avec des instructions pour adoucir le prince, et se rendit auprès de Drusus, dans lequel il espérait trouver moins d'exaspération que de bienveillance, le coup qui lui enlevait un frère le délivrant d'un rival. Tibère, afin de paraître exempt de prévention, reçut poliment le jeune homme, et lui donna les marques de générosité qui étaient d'usage envers les fils des grandes familles. Drusus répondit au père «que, si les bruits qu'on faisait courir étaient vrais, il serait le premier à demander vengeance; qu'il désirait au reste que la fausseté en

  1. Les fêtes de la grande Déesse (de la mère des dieux) tombaient aux nones d'avril.