Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/226

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se composait sur Tibère ; c’était le même visage, presque les mêmes paroles. De là ce mot si heureux et si connu de l’orateur Passiénus, "qu’il n’y eut jamais un meilleur esclave ni un plus méchant maître." Je n’omettrai pas une prédiction de Tibère au consul Servius Galba. Il le fit venir, et, après un entretien dont le but était de le sonder, il lui dit en grec : "Et toi aussi, Galba, tu goûteras quelque jour à l’empire ; " allusion à sa tardive et courte puissance, révélée à Tibère par sa science dans l’art des Chaldéens. Rhodes lui avait offert, pour en étudier les secrets, du loisir et un maître nommé Thrasylle, dont il éprouva l’habileté de la façon que je vais dire.

Tibère et l’astrologie
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Toutes les fois qu’il voulait consulter sur une affaire, il choisissait une partie élevée de sa maison, et prenait pour confident un seul affranchi. Cet homme, d’une grossière ignorance, d’une grande force de corps, menait, par un sentier bordé de précipices (car la maison est sur la mer, au haut d’un rocher), l’astrologue dont Tibère se proposait d’essayer le talent. Au moindre soupçon de charlatanisme ou de fraude, le guide, en revenant, précipitait le devin dans les flots, afin de prévenir ses indiscrétions. Thrasylle fut, comme les autres, amené par cette route escarpée. Tibère, vivement frappé de ses réponses, qui lui promettaient le rang suprême et lui dévoilaient habilement les secrets de l’avenir, lui demanda s’il avait aussi fait son horoscope, et à quel signe étaient marqués pour lui cette année et ce jour même. Thrasylle, observant l’état du ciel et la position des astres, hésite d’abord ; ensuite il pâlit, et, plus il poursuit ses calculs, plus il semble agité de surprise et de crainte. Il s’écrie enfin que le moment est critique, et que le dernier des dangers le menace de près. Alors Tibère, l’embrassant, le félicite d’avoir vu le péril, le rassure ; et, regardant comme des oracles les prédictions qu’il venait de lui faire, il l’admet dés ce jour dans sa plus intime confiance.

Digression de Tacite : un homme qui doute
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Ces exemples et d’autres semblables me font douter si les choses humaines sont régies par des lois éternelles et une immuable destinée, ou si elles roulent au gré du hasard. Les plus sages d’entre les anciens et leurs modernes sectateurs professent sur ce point des doctrines opposées. Beaucoup sont imbus de l’opinion que notre commencement, que notre fin, que les hommes, en un mot, ne sont pour les dieux le sujet d’aucun soin, et que de là naissent deux effets trop ordinaires, les malheurs de la vertu et les prospérités du vice. D’autres