Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

s’ils faisaient face aux légions, le sabre et les javelines des auxiliaires jonchaient la terre de leurs corps. Cette victoire fut éclatante : on prit la femme et la fille de Caractacus, et ses frères se rendirent à discrétion.

36

Le malheur appelle la trahison : Caractacus avait cru trouver un asile chez Cartismandua, reine des Brigantes ; il fut chargé de fers et livré aux vainqueurs. C’était la neuvième année que la guerre durait en Bretagne. La renommée de ce chef, sortie des îles où elle était née, avait parcouru les provinces voisines et pénétré jusqu’en Italie. On était impatient de voir quel était ce guerrier qui, depuis tant d’années, bravait notre puissance. A Rome même le nom de Caractacus n’était pas sans éclat ; et le prince, en voulant rehausser sa gloire, augmenta celle du vaincu. On convoque le peuple comme pour un spectacle extraordinaire ; les cohortes prétoriennes sont rangées en armes dans la plaine qui est devant leur camp. Alors paraissent les vassaux du roi barbare, avec les ornements militaires, les colliers, les trophées conquis par lui sur les peuples voisins ; viennent ensuite ses frères, sa femme et sa fille ; enfin lui-même est offert aux regards. Les autres s’abaissèrent par crainte à des prières humiliantes ; lui, sans courber son front, sans dire un mot pour implorer la pitié, arrivé devant le tribunal, parla en ces termes :

Discours de Caractacus devant le Sénat

37

"Si ma modération dans la prospérité eût égalé ma naissance et ma fortune, j’aurais pu venir ici comme ami, jamais comme prisonnier ; et toi-même tu n’aurais pas dédaigné l’alliance d’un prince issu d’illustres aïeux et souverain de plusieurs nations. Maintenant le sort ajoute à ta gloire tout ce qu’il ôte à la mienne. J’ai eu des chevaux, des soldats, des armes, des richesses : est-il surprenant que je ne les aie perdus que malgré moi ? Si vous voulez commander à tous, ce n’est pas une raison pour que tous acceptent la servitude. Que je me fusse livré sans combat, ni ma fortune ni ta victoire n’auraient occupé la renommée : et même aujourd’hui mon supplice serait bientôt oublié. Mais si tu me laisses la vie, je serai une preuve éternelle de ta clémence" Claude lui pardonna, ainsi qu’à sa femme et à ses frères. Dégagés de leurs fers, ils allèrent vers Agrippine, qu’on voyait assise à une petite distance sur un autre tribunal, et lui rendirent les mêmes hommages et les mêmes actions de grâce qu’à l’empereur ; chose nouvelle assurément et opposée à l’esprit de nos ancêtres, de voir une femme siéger devant les enseignes romaines :