Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/298

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bravant tout parce qu’elle avait tout à craindre, s’adressa au médecin Xénophon, dont elle s’était assuré d’avance la complicité. Celui-ci, sous prétexte d’aider le vomissement, enfonça, dit on, dans le gosier de Claude une plume imprégnée d’un poison subtil, bien convaincu que, s’il y a du péril à commencer les plus grands attentats, on gagne à les consommer.

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Cependant le sénat s’assemblait, les consuls et les prêtres offraient des vœux pour la conservation du prince, tandis que son corps déjà sans vie était soigneusement enveloppé dans son lit, où l’on affecta de lui prodiguer des soins, jusqu’à ce que le pouvoir de Néron fût établi sans retour. Dès le premier instant, Agrippine, feignant d’être vaincue par la douleur et de chercher des consolations, courut auprès de Britannicus. Elle le serrait dans ses bras, l’appelait la vivante image de son père, empêchait par mille artifices qu’il ne sortit de son appartement. Elle retint de même ses sueurs Antonia et Octavie. Des gardes fermaient par ses ordres toutes les avenues du palais, et elle publiait de temps en temps que la santé du prince allait mieux, afin d’entretenir l’espérance des soldats et d’attendre le moment favorable marqué par les astrologues.

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Enfin, le trois avant les ides d’octobre, à midi, les portes du palais s’ouvrent tout à coup, et Néron, accompagné de Burrus, s’avance vers la cohorte qui, suivant l’usage militaire, faisait la garde à ce poste. Au signal donné par le préfet, Néron est accueilli avec des acclamations et placé dans une litière. Il y eut, dit-on, quelques soldats qui hésitèrent, regardant derrière eux, et demandant où était Britannicus. Mais, comme il ne s’offrait point de chef à la résistance, ils suivirent l’impulsion qu’on leur donnait. Porté dans le camp, Néron fit un discours approprié aux circonstances, promit des largesses égales à celles de son père, et fut salué empereur. Cet arrêt des soldats fut confirmé par les actes du sénat ; il n’y eut aucune hésitation dans les provinces. Les honneurs divins furent décernés à Claude, et ses funérailles célébrées avec la même pompe que celles d’Auguste ; car Agrippine fut jalouse d’égaler la magnificence de sa bisaïeule Livie. Toutefois on ne lut pas le testament, de peur que l’injustice d’un père qui sacrifiait son fils au fils de sa femme ne révoltât les esprits et ne causât quelque trouble.


Fin du Livre XII