Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/332

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Cluvius rapporte qu’entraînée par l’ardeur de conserver le pouvoir, Agrippine en vint à ce point, qu’au milieu du jour, quand le vin et la bonne chère allumaient les sens de Néron, elle s’offrit plusieurs fois au jeune homme ivre, voluptueusement parée et prête à l’inceste. Déjà des baisers lascifs et des caresses, préludes du crime, étaient remarqués des courtisans, lorsque Sénèque chercha, dans les séductions d’une femme, un remède aux attaques de l’autre, et fit paraître l’affranchie Acté. Celle-ci, alarmée tout à la fois pour elle-même et pour l’honneur de Néron, l’avertit "qu’on parlait publiquement de ses amours incestueuses ; que sa mère en faisait trophée, et qu’un chef impur serait bientôt rejeté des soldats." Selon Fabius Rusticus, ce ne fut point Agrippine, mais Néron, qui conçut un criminel désir ; et la même affranchie eut l’adresse d’en empêcher le succès. Mais Cluvius est ici d’accord avec les autres écrivains, et l’opinion générale penche pour son récit ; soit qu’un si monstrueux dessein fût éclos en effet dans l’âme d’Agrippine, soit que ce raffinement inouï de débauche paraisse plus vraisemblable chez une femme que l’ambition mit, encore enfant, dans les bras de Lépide, que la même passion prostitua depuis aux plaisirs d’un Pallas, et que l’hymen de son oncle avait instruite à ne rougir d’aucune infamie.

Comment tuer sa mère ?

3

Néron évita donc de se trouver seul avec sa mère, et, quand elle partait pour ses jardins et pour ses campagnes de Tuscule et d’Antium, il la louait de songer au repos. Elle finit, en quelque lieu qu’elle fût, par lui peser tellement, qu’il résolut sa mort. Il n’hésitait plus que sur les moyens, le poison, le fer, ou tout autre. Le poison lui plut d’abord ; mais, si on le donnait à la table du prince, une fin trop semblable à celle de Britannicus ne pourrait être rejetée sur le hasard ; tenter la foi des serviteurs d’Agrippine paraissait difficile, parce que l’habitude du crime lui avait appris à se défier des traîtres ; enfin, par l’usage des antidotes, elle avait assuré sa vie contre l’empoisonnement. Le fer avait d’autres dangers : une mort sanglante ne pouvait être secrète, et Néron craignait que l’exécuteur choisi pour ce grand forfait ne méconnût ses ordres. Anicet offrit son industrie : cet affranchi, qui commandait la flotte de Misène, avait élevé l’enfance de Néron, et haïssait Agrippine autant qu’il en était haï. Il montre "que l’on peut disposer un vaisseau de telle manière, qu’une partie détachée artificiellement en pleine mer la submerge à l’improviste.