Aller au contenu

Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/338

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

furent vus dans ce temps, et n’eurent pas plus d’effet. Une femme accoucha d’un serpent ; une autre fut tuée par la foudre dans les bras de son mari ; le soleil s’éclipsa tout à coup ; et le feu du ciel tomba dans les quatorze quartiers de Rome. Mais ces phénomènes annonçaient si peu l’intervention des dieux, qu’on vit se prolonger encore bien des années le règne et les crimes de Néron. Au reste, pour faire à sa victime une mémoire plus odieuse, et prouver que sa clémence était plus grande depuis que sa mère n’y mettait plus obstacle, il rendit à leur patrie deux femmes du premier rang, Junie et Calpurnie, et deux anciens préteurs, Valérius Capito et Licinius Gabolus, tous bannis autrefois par Agrippine. Il permit aussi qu’on rapportât les cendres de Lollia Paullina, et qu’on lui élevât un tombeau. Il fit grâce à Iturius et à Calvisius, que lui-même avait relégués depuis peu. Quant à Silana, elle avait fini ses jours à Tarente : elle y était revenue d’un exil plus éloigné, lorsque Agrippine, dont la haine avait causé sa chute, chancelait à son tour ou s’était adoucie.

13

Néron parcourait lentement les villes de Campanie, inquiet sur son retour à Rome, et craignant de n’y plus retrouver le dévouement du sénat et l’affection du peuple. Mais tous les pervers (et jamais cour n’en réunit davantage) l’assuraient "que le nom d’Agrippine était abhorré, et que sa mort avait redoublé pour lui l’enthousiasme populaire. Qu’il allât donc sans crainte, et qu’il essayât la vertu de sa présence auguste." Eux-mêmes demandent à le précéder, et trouvent un empressement qui passait leurs promesses, les tribus accourant au-devant de lui, le sénat en habits de fête, des troupes de femmes et d’enfants, rangées suivant l’âge et le sexe, et, sur tout son passage, des amphithéâtres qu’on avait dressés comme pour voir un triomphe. Fier et vainqueur de la servilité publique, Néron monta au Capitole, rendit grâce aux dieux, et s’abandonna au torrent de ses passions, mal réprimées jusqu’alors, mais dont l’ascendant d’une mère, quelle qu’elle fût, avait suspendu le débordement.

Néron dans l’arène

14

Il avait depuis longtemps à cœur de conduire un char dans la carrière ; et par une fantaisie non moins honteuse, on le voyait souvent, tenant une lyre, imiter à table les chants du théâtre. "Des rois, disait-il, d’anciens généraux l’avaient fait avant lui. Cet art était célébré par les poëtes et servait à honorer les dieux. Le chant n’était-il pas un attribut sacré d’Apollon ? et n’était-ce pas une lyre à la main que, dans les