Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/348

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maux plus terribles (car ils venaient d’être réduits à l’état de province), les Icéniens courent aux armes et entraînent dans leur révolte les Trinobantes11 et d’autres peuples, qui, n’étant pas encore brisés à la servitude, avaient secrètement conjuré de s’en affranchir. L’objet de leur haine la plus violente étaient les vétérans, dont une colonie, récemment conduite à Camulodunum, chassait les habitants de leurs maisons, les dépossédait de leurs terres, en les traitant de captifs et d’esclaves, tandis que les gens de guerre, par une sympathie d’état et l’espoir de la même licence, protégeaient cet abus de la force. Le temple élevé à Claude offensait aussi les regards, comme le siège et la forteresse d’une éternelle domination ; et ce culte nouveau engloutissait la fortune de ceux qu’on choisissait pour en être les ministres. Enfin il ne paraissait pas difficile de détruire une colonie qui n’avait point de remparts, objet auquel nos généraux avaient négligé de pourvoir, occupés qu’ils étaient de l’agréable avant de songer à l’utile.

11. Les Trinobantes habitaient entre les Icéniens au nord et la Tamise au sud : maintenant les comtés de Middlesex et d’Essex.

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Dans ces conjonctures, une statue de la Victoire, érigée à Camulodunum, tomba sans cause apparente et se trouva tournée en arrière, comme si elle fuyait devant l’ennemi. Des femmes agitées d’une fureur prophétique annonçaient une ruine prochaine. Le bruit de voix étrangères entendu dans la salle du conseil, le théâtre retentissant de hurlements plaintifs, l’image d’une ville renversée vue dans les flots de la Tamise, l’Océan couleur de bang, et des simulacres de cadavres humains abandonnés par le reflux, tous ces prodiges que l’on racontait remplissaient les vétérans de terreur et les Bretons d’espérance. Comme Suétonius était trop éloigné, on demanda du secours au procurateur Catus Décianus. Il n’envoya pas plus de deux cents hommes mal armés, et la colonie n’avait qu’un faible détachement de soldats. On comptait sur les fortifications du temple, et d’ailleurs de secrets complices de la rébellion jetaient le désordre dans les conseils ; aussi on ne s’entoura ni de fossés ni de palissades, on n’éloigna point les vieillards et les femmes pour n’opposer à l’ennemi que des guerriers. La ville, aussi mal gardée qu’en pleine paix, est envahie subitement par une nuée de barbares. Tout fut en un instant pillé ou mis en cendres ; le temple seul, où s’étaient ralliés les soldats, soutint un siège et fut emporté le second