Enfin il charge ce même Milichus d’apprêter ce qu’il faut pour bander des plaies et arrêter le sang ; soit que cet affranchi connut la conjuration et eût été fidèle jusqu’alors, soit qu’il ignorât un secret dont le premier soupçon lui serait venu à cet instant même, comme la suite l’a fait dire à plusieurs. Quand cette âme servile eut calculé le prix de la perfidie, ne rêvant plus que trésors et puissance, elle oublia le devoir, la vie d’un patron, la liberté reçue. Milichus avait pris d’ailleurs les conseils de sa femme, conseils lâches et pervers. Elle lui remplissait l’esprit de frayeurs : "Beaucoup d’esclaves, lui disait-elle, beaucoup d’affranchis avaient vu les mêmes choses que lui ; le silence d’un seul homme ne sauverait rien ; mais un seul homme aurait toutes les récompenses, quand il aurait donné le premier avis."
55
Au point du jour, Milichus courut donc aux jardins de Servilius. D’abord on lui en refusa l’entrée ; mais à force de répéter qu’il apportait un avis de la nature la plus grave, la plus effrayante, il se fit introduire chez Épaphrodite, affranchi de Néron. Conduit par celui-ci devant le prince, il lui dénonce un péril imminent, de redoutables complots, enfin tout ce qu’il a entendu, tout ce qu’il a conjecturé. Il lui montre même le poignard aiguisé pour le tuer, et demande qu’on fasse venir celui qu’il accuse. Enlevé aussitôt par des soldats, Scévinus paraît et cherche à se justifier : "Le fer dont on lui faisait un crime était l’objet d’un culte héréditaire dans sa famille ; il le gardait dans sa chambre, d’où son perfide affranchi l’avait dérobé. Déjà plus d’une fois il avait scellé son testament, sans avoir pour cet acte des jours de préférence : plus d’une fois aussi il avait donné à des esclaves ou de l’argent ou la liberté ; s’il s’était montré plus généreux en cette occasion, c’est que, devenu moins riche et pressé par ses créanciers, il avait des craintes pour son testament. De tout temps sa table avait été libéralement servie, et il aimait à se donner des douceurs que les juges sévères n’avaient pas toujours approuvées. D’appareils pour panser les blessures, il n’en avait point commandé ; mais le calomniateur, sentant qu’il incriminait vainement des faits publics, en avait supposé un dont il fût tout à la fois le dénonciateur et le témoin." Une intrépide fermeté soutenait ce langage : il traite à son tour l’affranchi de monstre exécrable, chargé de tous les crimes, et cela d’un ton et d’un visage si assurés que la délation tombait, si Milichus n’eut été averti par sa femme que Natalis avait eu avec Scévinus une