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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/400

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prit en vain ce breuvage : ses membres déjà froids et ses vaisseaux rétrécis se refusaient à l’activité du poison. Enfin il entra dans un bain chaud, et répandit de l’eau sur les esclaves qui l’entouraient, en disant : "J’offre cette libation à Jupiter Libérateur." Il se fit ensuite porter dans une étuve, dont la vapeur le suffoqua. Son corps fut brûlé sans aucune pompe il l’avait ainsi ordonné par un codicille, lorsque, riche encore et tout-puissant, il s’occupait déjà de sa fin.

18. Ce poison est la ciguë.

Le bruit courut que Subrius, de concert avec les centurions, avait décidé secrètement, mais non pourtant à l’insu de Sénèque, qu’une fois Néron tué par la main de Pison, Pison serait tué à son tour, et l’empire donné à Sénèque, comme à un homme sans reproche, appelé au rang suprême par l’éclat de ses vertus. On débitait même une parole de Subrius : Opprobre pour opprobre, qu’importe un musicien ou un acteur de tragédies ? " car, si Néron jouait de la lyre, Pison déclamait en habit de tragédien.

Autres morts

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La complicité des gens de guerre fut enfin découverte. On se lassa de voir Férius poursuivre un crime auquel il avait pris part, et l’indignation lui fit des accusateurs. Pressé par ses questions menaçantes, Scévinus répondit, avec un sourire expressif, que personne n’en savait plus que lui ; et il l’exhorta vivement à payer de reconnaissance un si bon prince. A ces mots Fénius ne trouve plus de voie et pourtant ne veut pas se taire ; il bégaye quelques paroles entrecoupées, qui trahissent sa peur : bientôt il est confondu par les autres et surtout par Cervarius Proculus, chevalier romain, qui l’accusent à l’envi ; et l’empereur donne ordre au soldat Cassius, qu’il tenait près de lui à cause de sa force extraordinaire, de le saisir et de le garrotter.

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Le tribun Subrius périt, dénoncé par les mêmes complices. Il allégua d’abord la différence de ses mœurs et l’impossibilité que lui, homme de guerre, eût concerté un projet si hardi avec des lâches et des efféminés. Ensuite, comme on le pressait, il embrassa la gloire d’un généreux aveu. Interrogé par Néron sur la cause qui avait pu l’entraîner à oubli de son serment : "Je te haïssais, répondit-il : aucun soldat, ne te fut plus fidèle tant que tu méritas d’être aimé ; j’ai commencé à te haïr depuis que tu es devenu assassin de ta mère et de ta femme, cocher, histrion, incendiaire." J’ai rapporté ses propres paroles, parce qu’elles ne furent pas publiques comme celles de Sénèque, et que cette courageuse et naïve saillie