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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/402

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ce jour-là toutes les fonctions consulaires, et il donnait un festin, sans rien craindre de fâcheux, ou pour mieux dissimuler ses craintes, lorsque les soldats entrèrent et dirent que le tribun le demandait. Il se lève sans tarder, et tout s’achève en un moment. Il est enfermé dans une chambre, un médecin s’y trouve et lui coupe les veines ; encore plein de vie, il est porté au bain et plongé dans l’eau chaude, sans avoir proféré un seul mot où il plaignit son destin. Les convives, environnés de soldats, ne furent rendus à la liberté que bien avant dans la nuit, après que Néron, se représentant l’état de ces malheureux qui attendaient la mort au sortir de table, et riant de leur frayeur, eut dit qu’ils avaient payé assez cher l’honneur de souper chez un consul.

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Le prince ordonne ensuite le meurtre de Lucain. Pendant que le sang coulait de ses veines, ce poëte, sentant se refroidir ses pieds et ses mains, et la vie se retirer peu à peu des extrémités, tandis que le cœur conservait encore la chaleur et le sentiment, se ressouvint d’un passage où il avait décrit, avec les mîmes circonstances, la mort d’un soldat blessé, et se mit à réciter les vers : ce furent ses dernières paroles. Sénécion mourut ensuite, puis Quinctianus, puis Scévinus, mieux que ne promettait la mollesse de leur vie. Les autres conjurés périrent à leur tour, sans avoir rien dit ni rien fait de mémorable.

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Cependant la ville se remplissait de funérailles et le Capitole de victimes. A mesure que l’un perdait un fils, l’autre un frère, un parent, un ami, ils rendaient grâce aux dieux, ornaient leurs maisons de laurier, tombaient aux genoux du prince, et fatiguaient sa main de baisers. Néron, qui prenait ces démonstrations pour de la joie, récompensa par l’impunité les promptes révélations de Natalis et de Cervarius. Milichus, comblé de richesses, se décora d’un nom grec qui veut dire Sauveur19. Un des tribuns, Silvanus, quoique absous, se tua de sa main ; un autre, Statius Proximus, avait reçu son pardon de l’empereur : il mourut pour braver sa clémence. Pompéius, Cornélius Martialis, Flavius Népos, Statius Domitius, furent dépouillés du tribunat, sous prétexte que, s’ils n’étaient pas les ennemis du prince, ils passaient pour l’être. Novius Priscus avait été l’ami de Sénèque ; Glitius Gallus et Annius Pollio étaient plus compromis que convaincus : on leur assigna