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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/44

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annales, livre i.

avec une adroite éloquence, leur représente « que ce n’est point par la sédition et le désordre que les vœux des soldats doivent être portés à César ; que jamais armées sous les anciens généraux, jamais eux-mêmes sous Auguste, n’avaient formé des demandes si imprévues ; qu’il était peu convenable d’ajouter ce surcroît aux soucis d’un nouveau règne. S’ils voulaient cependant essayer, en pleine paix, des prétentions que n’élevèrent jamais dans les guerres civiles les vainqueurs les plus exigeants, pourquoi, au mépris de la subordination et des lois sacrées de la discipline, recourir à la force ? Ils pouvaient nommer une députation et lui donner des instructions en sa présence. » Un cri universel désigna pour député le fils de Blésus, tribun des soldats, et lui enjoignit de demander congé au bout de seize ans; « on s’expliquerait sur le reste, quand ce premier point serait accordé. » Le départ du jeune homme ramena un peu de calme. Mais le soldat, fier de voir le fils de son général devenu l’orateur de la cause commune, sentit que la contrainte avait arraché ce que la soumission n’aurait pas obtenu.

XX. Cependant quelques manipules, envoyés à Nauport[1], avant la sédition, pour l’entretien des chemins et des ponts et les autres besoins de service, en apprenant que la révolte a éclaté dans le camp, partent avec les enseignes et pillent les villages voisins, sans excepter Nauport, qui était une espèce de ville. Les centurions qui les retiennent sont poursuivis de huées, d’outrages, à la fin même de coups. Le principal objet de leur colère était le préfet de camp[2] Aufidénius Rufus. Arraché de son chariot et chargé de bagages, ils le faisaient marcher devant eux, lui demandant par dérision « s’il aimait à porter de si lourds fardeaux, à faire de si longues routes. » C’est que Rufus, longtemps simple soldat, puis centurion, ensuite préfet de camp, remettait en vigueur l’ancienne et austère discipline ; homme vieilli dans la peine et le travail, et dur à proportion de ce qu’il avait souffert.

XXI. A l’arrivée de ces mutins la sédition recommence, et une multitude de pillards se répand dans la campagne. Blésus

  1. Cellarius croit que c’est Oberlaybach, dans la Carniole, à quelques lieues de Laybach.
  2. Le préfet de camp était, dans les armées romaines, tout à la fois l’officier de génie et l’administrateur militaire. Il s’occupait de tout ce qui concernait les campements, les transports, les machines de guerre, les malades et les médecins, etc.