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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/60

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eurent pris aussi les armes. Ni lieutenant, ni tribuns n’intervinrent pour modérer le carnage : la vengeance fut laissée à la discrétion du soldat, et n’eut de mesure que la satiété. Peu de temps après, Germanicus entre dans le camp, et, les larmes aux yeux, comparant un si cruel remède à une bataille perdue, il ordonne qu’on brûle les morts. Bientôt ces courages encore frémissants sont saisis du désir de marcher à l’ennemi pour expier de si tristes fureurs, et ne voient d’autre moyen d’apaiser les mânes de leurs compagnons que d’offrir à de glorieuses blessures des cœurs sacrilèges. Germanicus répondit à leur ardeur : il jette un pont sur le Rhin, passe le fleuve avec douze milles légionnaires, vingt-six cohortes alliées, et huit ailes de cavalerie[1], qui, pendant la sédition, étaient restées soumises et irréprochables.

L Joyeux et rapprochés de nos frontières, les Germains triomphaient de l’inaction où nous avait retenus d’abord le deuil d’Auguste, ensuite la discorde. L’armée romaine, après une marche rapide, perce la forêt de Césia[2], ouvre le rempart construit par Tibère[3], et campe sur ce rempart même, couverte en avant et en arrière par des retranchements, sur les deux flancs par des abatis d’arbres. Ensuite elle traverse des bois épais. On délibéra si, de deux chemins, on prendrait le plus court et le plus fréquenté ou l’autre plus difficile, non frayé, et que pour cette raison l’ennemi ne surveillait point. On choisit la route la plus longue, mais on redoubla de vitesse ; car nos éclaireurs avaient rapporté que la nuit suivante était une fête chez les Germains, et qu’ils la célébraient par des festins solennels. Cécina eut l’ordre de s’avancer le premier avec les cohortes sans bagages, et d’écarter les obstacles qu’il trouverait dans la forêt ; les légions suivaient à quelque distance. Une nuit éclairée par les astres favorisa la marche. On arrive au village des Marses, et on les investit. Les barbares étaient encore étendus sur leurs lits ou près des tables, sans la moindre inquiétude, sans gardes qui veillassent pour eux :

  1. Les ailes de cavalerie étaient généralement composées de provinciaux et d’étrangers. Le nombre d’hommes variait de 500 à 1000. Elles étaient divisées en turmes de trente hommes, et chaque turme en trois décuries.
  2. Celle qu’on appelle aujourd’hui Heserwald, dans le duché de Clèves.
  3. Dans les pays où l’empire n’était point défendu par des fleuves ou des montagnes, les Romains élevaient entre eux et les barbares une barrière factice : c’était un rempart immense, garni de palissades, qui s’étendait d’un poste militaire à l’autre et régnait tout le long de la frontière.