Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/66

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vectives : « Quel tendre père ! Quel grand capitaine ! Quelle intrépide armée ! Tant de bras réunis pour emmener une femme ! Lui du moins, c’étaient trois légions, autant de généraux qu’il avait exterminés. Car ses ennemis n’étaient point des femmes enceintes, ni ses armes de lâches trahisons : il faisait une guerre ouverte à des hommes de guerre. Les enseignes romaines, consacrées par sa main aux dieux de la patrie, pendaient encore aux arbres des forêts germaniques. Ségeste pouvait habiter la rive des vaincus et rendre à son fils un vil sacerdoce : jamais de véritables Germains ne se croiraient absous d’avoir vu entre l’Elbe et le Rhin les verges, les haches et la toge. Heureuses les nations qui ne connaissaient point la domination romaine ! Elles n’avaient pas enduré les supplices, gémi sous les tributs. Puisque les Germains s’en étaient affranchis, et avaient renversé les projets de cet Auguste dont Rome a fait un dieu, de ce Tibère, dont elle a fait son maître, craindraient-ils un enfant dénué d’expérience et une armée de séditieux ? S’ils préféraient leur patrie, leurs parents à des tyrans, leur antique indépendance à ces colonies inconnues de leurs pères ; qu’ils suivissent Arminius dans le chemin de la gloire et de la liberté, plutôt que Ségeste, qui les menait à l’opprobre et à la servitude. »

LX. Il souleva par ces discours non seulement les Chérusques, mais encore les nations voisines, et entraîna dans la ligue son oncle Inguiomère, nom depuis longtemps estimé des Romains : César vit ce nouveau péril. Pour empêcher que tout le poids de la guerre ne pesât sur un seul point, et afin de diviser les forces de l’ennemi, il envoya Cécina vers l’Ems, par le pays des Bructères, avec quarante cohortes romaines. Le préfet Pédo conduisit la cavalerie par les confins de la Frise ; Germanicus lui-même s’embarqua sur les lacs[1] avec quatre légions ; et bientôt l’infanterie, la cavalerie et la flotte, se trouvèrent réunies sur le fleuve marqué pour rendez-vous. Les Chauques offrirent des secours et furent admis sous nos drapeaux. Les Bructères mettaient en cendres leur propre pays. L. Stertinius, envoyé par César avec une troupe légèrement équipée, les battit ; et, en continuant de tuer et de piller, il retrouva l’aigle de la dix-neuvième légion, perdue avec Varus. Ensuite l’armée s’avança jusqu’aux dernières limites des Bruc-

  1. Les lacs de la Batavie, dont la réunion, opérée par le temps et par les invasions de la mer, a formé le Zuiderzée.