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vie de cn. julius agricola.

d’un homme qui venge sa propre injure, on mit à sa place Pétronius Turpilianus, comme moins inexorable. Désintéressé dans les offenses de l’ennemi, et par là même plus indulgent pour le repentir, Pétronius pacifia la province sans chercher ä l’étendre, et la remit à Trébellius Maximus. Ce dernier, sans activité ni expérience des camps, maintint l’ordre par une certaine politesse d’administration. Les barbares eux-mêmes apprirent à pardonner aux vices agréables ; et les guerres civiles, qui survinrent alors, fournirent à l’inaction du général une excuse légitime. Mais on éprouva le fléau de la discorde, effet du désœuvrement chez des soldats accoutumés à de continuelles expéditions. Réduit à fuir et à se cacher pour échapper à leur fureur, Trébellius, déshonoré, avili, reprit à peine un commandement précaire, comme si l’armée eût traité pour la licence et le chef pour la vie : cette sédition ne coûta pas de sang. Vectius Bolanus, dans un temps où les guerres civiles duraient encore, ne donna pas plus de vigueur à son gouvernement : même inaction à l’égard des ennemis, même indiscipline dans les camps ; seulement, Bolanus, irréprochable et pur de tout crime qui pût le faire haïr, s’était concilie l’amour à défaut du respect.

XVII. Mais lorsque, avec le reste du monde, la Bretagne eu reconnu Vespasien, on y vit d’habiles généraux, d’excellentes armées, et l’espoir des ennemis s’affaiblit. Pétilius Cérialis les frappa d’abord de terreur en attaquant la cite des Brigantes[1], qui passe pour la plus considérable de toute la province. Il livra de nombreux et quelquefois de sanglants combats, et il étendit sur une grande partie du pays ou la conquête ou la guerre. Les Services et la renommée de Cérialis auraient écrasé tout autre successeur : un grand homme, autant qu’il était alors permis de l’être, Julius Frontinus, en soutint le poids. Il dompta par les armes la forte et belliqueuse nation des Silures ; entreprise où, avec le courage des ennemis, il eut encore à vaincre la difficulté des lieux.

XVIII. Telles étaient la fortune de la guerre et la Situation de la Bretagne, lorsque Agricola s’y rendit au milieu de l’été, dans un moment où nos soldats, comme si toute expédition était suspendue, se livraient à la sécurité, tandis que les ennemis épiaient l’occasion. Peu de temps avant son arrivée, les Ordoviques[2] avaient presque détruit une aile de cavalerie

  1. Voy. page 250, note 2.
  2. Dans le nord du pays de Galles.