Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/733

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Car telle est la matière proposée aux discours de l’orateur devant les tribunaux, il s’agit ordinairement de l’équité ; dans les délibérations, de l’honneur ; souvent de l’un et de l’autre tout ensemble. Or il est impossible d’en parler avec abondance, variété, agrément, si l’on ne connaît le cœur humain, la force de la vertu, les excès dont le vice est capable, enfin ces actes indifférents qui n’appartiennent ni à la vertu ni au vice. Des mêmes sources découlent encore d’autres avantages : ainsi on réussira plus facilement à exciter ou à calmer la colère du juge, quand on saura ce que c’est que la colère ; à toucher sa pitié, quand on saura ce que c’est que la miséricorde, et par quelles émotions on y conduit les âmes. Riche de ces connaissances et préparé par de tels exercices, l’orateur a-t-il à combattre la haine, la partialité, l’envie, la mauvaise humeur, la crainte ? sa main tient les rênes dont il gouvernera les esprits : il mesurera son action, il accommodera son langage à la diversité des caractères, maître qu’il est d’instruments toujours prêts à servir et aussi variés que ses besoins. Il est des hommes auxquels un discours serré, compacte, enfermant en peu de mots chacun des arguments, inspire plus de confiance : auprès de ceux-là, l’étude de la dialectique sera d’un grand secours. D’autres préfèrent une éloquence abondante, coulant d’un cours égal, puisée à la source du bon sens universel : pour les émouvoir, nous emprunterons quelque chose aux péripatéticiens. Ils nous fourniront des développements heureux et appropriés à toute discussion ; nous apprendrons la polémique avec l’Académie ; Platon nous donnera l’élévation, Xénophon la grâce. Tirer même d’Épicure et de Métrodore[1] certaines maximes avouées par la morale, et s’en servir pour le besoin de sa cause, ne sera pas interdit à l’orateur ; car nous ne formons pas un sage ni une république de stoïciens, mais un homme qui, sans approfondir telle ou telle science, doit avoir sur toutes des notions larges et suffisantes. Et voilà pourquoi les anciens orateurs embrassaient dans leurs études la jurisprudence, et prenaient une teinture des belles-lettres, de la musique, de la géométrie. La plupart des causes, pour ne pas dire toutes, exigent en effet la connaissance du droit ; et il s’en rencontre beaucoup dans lesquelles ces autres sciences sont aussi nécessaires.

  1. Métrodore, d’Athènes, fut l’ami et le principal disciple d’Épicure, qui ne balança pas de lui donner le nom de Sage.