Page:Tacite - Oeuvres complètes, trad Panckoucke, 1833.djvu/309

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IV. Maternus répondit : Je serais déconcerté par ta sévérité, si une opposition fréquente et continuelle ne s’était changée pour nous en une espèce d’habitude. Car, toi, tu ne cesses de harceler et de poursuivre les poètes ; et moi, à qui tu reproches ma paresse pour les plaidoiries, chaque jour je plaide contre toi en faveur de la poésie. Je m’en réjouis d’autant plus, qu’il nous soit offert un juge qui va ou me défendre de jamais faire de vers à l’avenir, ou bien, ce que je désire depuis longtemps, m’encourager par son autorité à renoncer aux routes obscures et étroites des plaidoiries du forum dans lesquelles j’ai versé assez et trop de sueurs, pour me vouer au culte de cette autre éloquence plus sainte et plus auguste.

V. Pour moi, reprit Secundus, avant qu’Aper ne me récuse, je ferai comme ces juges intègres et modestes qui s’excusent de prononcer dans les causes où il est évident qu’une des parties trouverait en eux des juges trop favorables. Qui ne sait, en effet, que personne ne m’est plus attaché, et par tous les rapports de l’amitié et par l’habitude de vivre ensemble, que Saleius Bassus, homme aussi excellent que poète accompli ? Or, si la poésie est mise en accusation, je ne vois nulle part un coupable plus riche en méfaits. Je ne veux troubler, dit Aper, ni Saleius Bassus, ni quiconque se livre à l’étude des vers et en recherche la gloire, parce qu’il ne peut atteindre à celle de l’éloquence : quant à moi, puisque voici un juge de ce débat, je ne souffrirai pas que l’on défende Maternus en lui associant plusieurs complices ; mais j’arguerai contre lui seul auprès de vous. Né pour cette éloquence virile et oratoire par laquelle il eût pu acquérir et conserver tant d’amis, se concilier des na-