Page:Tacite - Oeuvres complètes, trad Panckoucke, 1833.djvu/313

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dont les douceurs nous ravissent non pour quelques momens, mais presque tous les jours et presque à chaque heure. Quoi de plus doux pour un esprit libre, généreux et né pour les plaisirs honnêtes, que de voir sa maison toujours fréquentée et remplie d’un concours de personnes du rang le plus élevé, et de savoir que ce n’est ni votre argent, ni votre héritage, ni quelque place dans l’administration, mais votre propre mérite que l’on recherche ? Bien plus, ce sont des vieillards sans enfans, des riches, des puissans, qui le plus souvent viennent trouver le jeune avocat pauvre, pour lui confier leurs intérêts et ceux de leurs amis. Jamais le plaisir que donnent de grandes richesses et une haute puissance fut-il aussi vrai que celui de voir des hommes anciens et vieux, que Rome entière appuie de sa faveur, dans l’abondance complète de toutes choses, avouer que ce premier des biens, l’éloquence, leur manque ? Il sort, et déjà quel cortège de personnes en toge ! quel appareil au dehors ! quelle vénération dans le sanctuaire de la justice ! quelle joie dès qu’il se lève et parle au milieu du silence, tous les regards fixés sur lui ! lorsque la foule attirée fait cercle, et reçoit toutes les impressions dont il s’affecte lui-même ! Je décris les joies vulgaires des plaideurs, telles qu’elles frappent les yeux des moins clairvoyans ; il en est de plus secrètes, et ce sont les plus grandes, connues seulement de l’orateur. Apporte-t-il une harangue méditée avec soin, sa diction est mesurée, son triomphe est calme et assuré : arrive-t-il avec une composition nouvelle et à peine achevée, ce n’est pas sans un certain trouble d’esprit, et cette inquiétude même favorise son succès et augmente le plaisir. Mais la jouissance vient particulièrement de l’audace et d’une témérité inattendue :