Page:Tacite - Oeuvres complètes, trad Panckoucke, 1833.djvu/321

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naissent d’eux-mêmes chez Bassus ; ils sont beaux, agréables : eh bien ! quelle est leur fin ? Après qu’il les a retravaillés toute une année, chaque jour, une partie des nuits, et en a fait un volume, il est forcé d’aller solliciter et mendier des auditeurs qui daignent l’écouter ; et ce n’est pas même gratis, car il lui faut emprunter le local, disposer la salle, louer les banquettes, distribuer les programmes. Et quand même le plus heureux succès a suivi la lecture, toute cette gloire dure un jour ou deux, semblable à ces plantes coupées en herbe ou en fleur, et dont aucun fruit utile et certain ne peut provenir ; de tout ceci il ne rapporte ni amitié, ni clientelle, ni reconnaissance gravée au cœur de qui que ce soit, mais une acclamation vague, de vains bruits, une joie fugitive. Naguère nous avons loué comme admirable et extraordinaire la libéralité de Vespasien, qui fit don à Bassus de cinq cent mille sesterces. Il est beau sans doute de mériter l’intérêt du prince par son talent : mais combien n’est-il pas plus beau, quand la position l’exige, de recourir à soi-même, de se rendre son génie propice, et de n’éprouver que sa propre libéralité ! Ajoutez que les poètes, s’ils veulent élaborer et produire quelque œuvre digne, doivent renoncer aux rapports de l’amitié, aux charmes de la ville, abandonner tous devoirs, et, comme ils le disent eux-mêmes, se recéler dans le sein des forêts, c’est-à-dire dans la solitude.

X. L’opinion même et la renommée, auxquelles seules