Page:Tailhade - Discours pour la paix.djvu/29

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permettent guère de payer autrement que par un surcroît de maux les esclaves astreints aux labeurs du régiment.

Aussi, pour alimenter d’hommes ses casernes, pour donner des valets aux officiers, des tueurs à la société bourgeoise, Napoléon, organisateur du despotisme en France, imagina le service obligatoire, les armées permanentes ignorées jusqu’à lui.

Remplaçant les mercenaires par des captifs obligés, quand même, à une besogne improductive, par un bétail humain soumis à tous les affronts, aux ordres stupides, aux injures, à la bêtise des chaouchs et des sous-offs, la « Patrie » enrôle dans ses ergastules une troupe frémissante ou résignée de jeunes hommes qui ne peuvent refuser la casaque militaire.

Les patrons, malgré leur avarice, malgré leur haine cynique ou papelarde, consentent néanmoins à payer peu ou prou. Mais l’État s’arroge le droit de spolier, chaque année, la génération montante. Il dérobe les fruits de son labeur. Jetant l’ouvrier dans la bourdonnante oisiveté de la caserne, il détourne l’être jeune et robuste du métier qu’il connaît, des activités que lui confère un long apprentissage, ne lui demandant autre chose, en retour, que d’obéir sans raison, d’obéir sans honneur, d’obéir comme une brute, comme un rouage silencieux dans un appareil de mort.

Cette conscription des adolescents que devraient accompagner les pleurs des mères, les cris de haine et de fureur poussés par les conscrits, cet acte de tyrannie hypocrite et féroce donne lieu à des réjouissances, à des hurlements de fête dans les lieux publics.

Marqués au front comme les bêtes d’un troupeau, les partants beuglent dans la rue et font voir le numéro qui les sort de la communion des hommes pour les transmuer en chourineurs.

Hoquets d’ivrognes, mots confus, chansons ordurières, ils traînent dans les débits d’alcool une allégresse de commande et l’ennui qui les ronge au fond du cœur !

Les dispensés, les vieilles bêtes, les ogresses du trottoir et les femmes du monde sur le retour contemplent d’un œil béat ce spectacle nauséabond. Le dé-