Page:Tailhade - Discours pour la paix.djvu/32

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gnation ni révolte les outrages, les coups même et les crachats de tes supérieurs, si tu ne veux pas que l’on mène tes vingt ans au poteau d’exécution.

Or, cette loi draconienne qui te livre sans défenseur à un tribunal « dont la justice, disait Pellieux, n’est pas la justice ordinaire », cette loi contre laquelle on ne saurait se défendre avec trop de soin, par qui te fait-elle condamner ? Quel est, d’après elle, ton accusateur et ton avocat ? C’est ton sergent, ton capitaine, ceux-là mêmes à qui elle impose, du matin au soir, l’obligation d’être tes bourreaux !


C’est à toi que je parle, à toi, conscrit, mon enfant par l’âge et, par la tâche quotidienne, mon frère ! c’est à toi que n’a pas encore atteint la souillure des armes, à toi qui peux vivre et penser encore loin du bagne maudit où les puissances conjurées de l’ordre social travailleront demain à t’arracher le cœur !

Puisque l’heure va sonner pour toi de payer à la Société bourgeoise l’impôt du sang, qu’elle ne t’épargne pas plus que les autres impôts, l’heure où toi, fils d’ouvrier, ouvrier toi-même, prolétaire d’hier et prolétaire de demain, tu vas endosser la livrée du soldat, en échange de ton vêtement d’homme libre et de citoyen ; puisque tu vas quitter l’atelier, l’usine, le chantier, le théâtre de ton labeur quotidien, ce milieu où tu vivais encore avec un peu d’indépendance dans l’allégresse de ton printemps, malgré la haine et la rancune que faisait vivre en toi l’iniquité sociale ; puisque ta conscience t’appartient encore, fais comparaître devant elle ceux qui demain te parleront en maîtres et se feront tes geôliers. Naguère encore, tu étais la chair à travail, la bonne vache nourricière qui sustente du meilleur d’elle-même la troupe des privilégiés. Pour le patron, pour le riche, tu peinais comme un nègre, comme une bête, sans améliorer pour cela ton maigre ordinaire, sans alléger les travaux de tes parents ni reconnaître jamais les privations qu’ils ont souffertes pour toi.

Or, tes parents sont des lâches. Ils défèrent au mensonge de la Patrie et permettent sans horreur que tu t’en ailles « sous les drapeaux ». Si bien que tu n’es plus à présent la chair à travail de l’usine, mais la chair à tuerie de la caserne, l’organe impersonnel