Page:Tailhade - Quelques fantômes de jadis (1920).djvu/9

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vigoureuse, encore qu’il semblât vieilli, plutôt que vieux, infirme presque, moins par l’effort du temps que par les troubles d’une vie ardente, calamiteuse et discréditée. Il marchait, coiffé en lampion d’un feutre mou, éternellement cravaté d’un cache-nez gris sale, dont les bouts pendaient sur ses épaules à la façon d’une steinkerque. La jambe défaillante, et courbé sur un bâton de trimardeur, il faisait involontairement songer à ces rôdeurs champêtres qui, sans labourer ni moissonner en aucune saison, courent les foires et les marchés, s’avinent à l’auberge et, de Pâques à la Saint-Martin, dorment à l’ombre des meules ou dans l’herbe en fenaison. Mais le visage, d’une laideur magnifique et surprenante, d’une laideur à la Socrate, populacière et divine, avec son beau crâne pareil à la coupole d’un temple, son front dévasté par le génie et la souffrance, avec, aussi, le clignotement goguenard des yeux obliques, démentait ce que l’homme pouvait avoir de rustique et de falot.

Il mourut.

Après maintes villégiatures dans les hôpitaux