Page:Tailhade - Quelques fantômes de jadis (1920).djvu/98

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plupart des lettrés manifestaient pour son œuvre bizarre et pénétrante, pour ces brèves odelettes, ces cris de douleur intime, ces confidences à mi-voix, qui, sans rhétorique ni verbiage, sans pompe ni fracas, sans « écriture artiste », sans la moindre emphase parnassienne, portaient au cœur, chantaient à l’unisson de la rêveuse jeunesse et de l’éternelle Humanité. Néanmoins la réputation de Verlaine demeurait circonscrite, ne franchissait pas encore les groupes d’initiés. Les éditeurs catholiques Palmé, après la conversion du poète, avaient publié puis étouffé dévotement Sagesse, écrite à Malines pendant les loisirs que lui faisait sa prison. La Bonne Chanson, tirée à peu d’exemplaires par les soins d’Edmond Lepelletier, seul ami des jours mauvais, attestant de Verlaine la prodigieuse virtuosité, accréditait sa gloire et déjà lui donnait place à côté des plus adroits et des plus grands. Très habile, en dépit de son débraillement affecté, de son allure insouciante et d’une prédilection très sincère pour les liqueurs fortes, Verlaine attendait son heure, sachant